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Edition du 30 Mai 2012



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Professeur Rachid Belhadj* au Midi Libre :
«L’utilisation des enfants pour mendier est un délit puni par la loi»
30 Mai 2012

Dans cet entretien, le professeur Belhadj nous présente le constat médico-légal des enfants victimes de toutes formes de violence. Le taux de victimes le plus élevé est dû, malheureusement, aux accidents de la route qui est une forme également de violence envers les enfants, particulièrement en période de vacances. La cause est due, selon le spécialiste, à l’absence de structures de divertissement.

En effet, ils n’ont que la rue pour s’amuser et ils sont alors la cible de tous les dangers, accidents de la route, violence verbale ou physique qui tourne souvent au drame irréversible. Le professeur Belhadj soulèvera également le problème de l’utilisation des enfants à des fins de mendicité qui prend des proportions alarmantes dans notre pays.

Midi Libre : Quel est le premier danger qui guette l’enfant dans notre société ?

Pr R. Belhadj : Si on veut tirer la sonnette d’alarme on doit parler en premier de ces enfants qui sont victimes des accidents de la route. Les chiffres sont effarants et ça touche surtout les plus petits, c’est-à-dire ceux qui scolarisés dans le primaire, qui sont souvent livrés à eux-mêmes pendant les périodes de vacances.

Pourquoi principalement pendant les vacances scolaires ?
Tout simplement, parce que l’Etat n’a pas fourni assez d’effort pour la prise en charge de ces enfants durant leurs vacances, comme par exemple créer des centres culturels, de loisirs, des vacances organisés… De ce fait, ces enfants n’ont que la rue pour se distraire avec tous les dangers qu’on peut imaginer. Il faut, par conséquent, penser à trouver des solutions à ce problème. D’autre part, cela relève du rôle des collectivités locales qui doivent construire des aires de jeux au sein même des cités pour protéger les enfants des risques de la chaussée car ces derniers ont tendance à s’amuser sur les trottoirs, s’exposant ainsi à d’éventuels accidents. On reçoit de telles victimes dans notre consultation pour les traiter d’une simple contusion, une fracture voire des lésions plus graves qui peuvent aller jusqu’au décès, malheureusement, et cela représente un véritable fléau dans notre pays. Selon les résultats de nos recherches et statistiques, les enfants victimes de la route sont plus nombreux dans les villes et ceux victimes de violence sexuelle dans les villages.

Et pendant la période scolaire, les enfants sont-ils plus ou moins protégés de toute violence ?
Malheureusement non, puisqu’on enregistre de plus en plus de cas de violence en milieu scolaire. Cette violence est multiforme et en augmentation. Elle peut provenir des enfants entre eux : le plus fort abuse du plus faible physiquement, et par le racket et la menace, mais cette violence peut émaner également du personnel pédagogique (enseignant, surveillant ou plus grave encore le directeur).
A cela, plus catastrophique encore, s’ajoute la violence sexuelle. Toute cette violence perturbe la scolarité des enfants.

Comment peut-on protéger les enfants à l’école ?
Les protéger est le rôle de l’enseignant, le directeur de l’établissement, de l’association des parents d’élèves, des parents à veiller afin qu’il n’y ait pas de violence physique ou harcèlement moral à l’égard de ces enfants. Parfois en médecine légale, nous recevons des enfants qui se sont battus en usant d’instruments tranchants.

Comment peut-on faire de la prévention face à tous ces phénomènes ?
Il n’y a que l’éducation qui peut venir à bout de ce phénomène ou du moins diminuer ces actes qui deviennent un véritable fléau en Algérie. Tout le monde doit participer à cela : la famille, les voisins, les enseignants, les médias, le ministère de l’Education nationale car même si on ne peut pas éradiquer ce fléau qui a toujours existé dans le monde entier on peut au moins le diminuer.

Que dit la médecine légale sur l’utilisation des enfants, notamment des bébés, à des fins de mendicité ?
C’est presque un commerce organisé en effet, c’est ce qu’on appelle la mendicité publique. Parfois on utilise des nourrissons d’un mois sous un soleil de plomb ou en période de froid. Ces enfants évoluent dans des conditions d’hygiène déplorables, exposés à toutes sortes de maladies et risques d’accidents. Cela se passe au su et au vu de tous. La loi est pourtant claire sur ce point ; il y a des articles de lois qui punissent l’utilisation de ces innocents.

D’où viennent ces femmes et ces hommes qui demandent l’aumône accompagnés de gamins ?
Nous avons constaté qu’il s’agit de tout un réseau qui vient des périphéries d’Alger et qui utilise ces enfants. Parfois, on trouve même des familles qui, pour des raisons sociales et économiques, vont jusqu’à louer leurs enfants et les utiliser pour la mendicité.

Vous dites que c’est une infraction qui est punie par la loi, pourtant ces mendiants on les rencontre quotidiennement et partout….
Parfois les services de sécurité interviennent et les arrêtent mais il faut montrer du doigt aussi celui qui leur donne de l’argent car ils les encouragent dans cette activité morbide. Nous avons toujours incité les citoyens à ne pas donner de l’argent. Si on veut faire des dons et aider les familles pauvres, il y a lieu de le faire dans un cadre légal en aidant les institutions créées à cet effet comme les pouponnières….

On voit aussi sur les voies publiques des jeunes mineurs qui mendient, y a-t-il une loi qui les protège ?
Ces enfants-là le font sous l’influence des parents, ou bien parfois ces enfants accompagnent des adultes handicapés, invalides qui font aussi de la mendicité, ou bien inversement, des adultes avec des enfants handicapés. Donc, vous voyez bien, il y a plusieurs formes d’exploitation de ces enfants et tout cela ce fait comme dans une pièce de théâtre… En effet, cela fait fendre le cœur aux hommes les plus endurcis de voir un homme aveugle par exemple mendier surtout avec un enfant handicapé. Mais je réitère encore mes propos, si on veut aider ces gens-là il ne faut pas céder. C’est comme si on donnait de l’argent à un jeune toxicomane pour se procurer de la drogue.

Quel avenir donc pour ces enfants ?
Ce qui est certain c’est que ces enfants victimes de la rue vont causer un grave problème médico-légal à la société car ils deviennent eux-mêmes des agresseurs et d’une dangerosité terrible pour la société. Ils n’ont pas de repères, ils ne savent pas où commencent et où s’arrêtent les interdits. Dans leur esprit, tout est permis et sans limite ni autorité. Ces enfants-là malheureusement sont des êtres innocents qui déjà avant l’âge de 15 ans ont touché à tout, la drogue, l’alcool, le vol…

Que faut-il faire pour limiter ce fléau ?
C’est l’affaire de tous, pas seulement de l’Etat : les parents, les voisins, les associations, les médias lourds et la presse écrite doivent intervenir. La solution n’est pas de les mettre en prison ; on ne les arrache pas d’un cercle pour les mettre dans un autre. Il faut sensibiliser les gens, améliorer les conditions de vie, offrir des formations, du travail et je vais vous surprendre sur ce dernier point, d’un point de vue économique on dit qu’il y a une pénurie atroce de main d’œuvre peu qualifiée dans le bâtiment, dans l’agriculture… Mais nous n’avons pas encore réussi à faire une synergie entre le système éducatif, économique et professionnel. Alors pourquoi ne pas encourager ces enfants à faire ces métiers. L’Algérie n’a pas besoin uniquement d’ingénieurs, d’architectes… Elle a aussi besoin d’une main-d’œuvre spécialisée. Si on donnait du travail à ces enfants ils se sentiront utiles à condition bien sûr de bien les payer et j’insiste sur ça ; il faut leur donner un bon salaire qui les motivera et ne les fera pas fuir par n’importe quel moyen le pays. C’est ainsi qu’on va encourager nos jeunes et les soustraire à ces fléaux.

A quel âge ces enfants sont les plus vulnérables où ils versent dans l’illégalité ?
C’est une courbe ascendante. L’enfant passe son temps dehors, il a de mauvaises fréquentations et forcément il commence par toucher au tabac, puis à la drogue, au vol et la courbe monte. Il devient agressif jusqu’à commettre l’irréparable parfois… Très jeune il se retrouve avec un casier judiciaire bien chargé.
Et croyez-moi, lorsqu’on les reçoit dans nos services de médecine légal, on leur parle ils sont très intelligents et cela fait beaucoup de mal de les voir perdus, sans repères. En tant que médecin légiste, on n’est un peu le temple des problèmes medico-légaux des violences. Lorsqu’on voit un jeune de 20 ans commettre une violence ou en être victime, c’est un crève-cœur ; on aurait tellement souhaité le voir sur un banc de l’université. Il y a de cela une semaine juste à côté de notre hôpital, les autorités ont interdit à un jeune d’exposer sur le trottoir sa marchandise, il s’est alors automutilé sur la voie publique, ceci est pour vous dire que ces jeunes n’ont plus de repères.

Qu’en est-il de la maltraitance des parents envers leurs enfants ?
Il y a une caractéristique qui est propre à notre société, lorsque les parents sont en instance de divorce ou divorcés, souvent ils utilisent l’enfant dans cette procédure pour se venger. Une maman par exemple peut aller très loin jusqu’à accuser le mari d’attouchements sur l’enfant et demande à ce dernier de le dire au juge… Or il n’y a pas plus grave que cela, car l’enfant est une victime, cela peut marquer à vie son équilibre psychologique.

Et l’inceste ?
Ça existe et malheureusement ça reste un chiffre noir. Beaucoup de choses ne sont pas dites, elles restent cachées pour ne pas faire de scandale dans la famille.

À votre avis, la société civile fait-elle assez pour protéger ces enfants ?
Non justement, elle ne fait pas assez. C’est vrai que ces dernières années on commence à sortir des sujets tabous à petit pas. En effet, il y a une dizaine d’années, on ne parlait pas de tous ces sujets : drogue, inceste, violence sexuelle… mais maintenant avec l’avènement des associations, des sociétés savantes… les choses commencent à bouger. Par exemple, dans nos journées scientifiques organisées par la Société de médecine légale, on regroupe les médecins légistes, les magistrats, les services de police spécialistes dans le domaine, on aborde à chaque fois ces fléaux pour y faire face et ce, à l’échelle nationale.

Un message à transmettre ?
Le message le plus important est qu’un enfant est un être extraordinaire, il ne faut pas le perdre de vue. Il faut l’éduquer et son éducation initiale commence au berceau avec ses parents. Un enfant a toujours besoin d’attention, d’affection. Qu’on lui consacre un peu de temps, lui indiquer une ligne de conduite ? lui donner toutes ses chances pour réussir sa vie. La deuxième étape c’est l’école ; les parents doivent le suivre aussi dans sa scolarité, surveiller ses fréquentations, communiquer avec lui, comprendre ses préoccupations, ses soucis. Les parents doivent savoir être autoritaire, fermes et affectueux envers leur progéniture sans trop la couver bien sûr car dans ce cas-là également, l’enfant ne saura pas affronter la vie. Il faut trouver le juste milieu. Donc, cet apprentissage permettra à l’enfant de développer sa personnalité. A ce moment-là, on peut petit à petit le laisser voler de ses propres ailes et lui faire confiance. Il saura se comporter face à la société car on lui a donné une base soilde.

*Professeur agrégé, expert auprès des tribunaux en médecine légale

Par : Ourida Ait Ali

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