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Edition du 28 Avril 2012



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Abla Hadji Benzerafa, Psychologue en thérapie familiale, au midi libre
«Il faut une coopération sereine entre enfants, parents et enseignants»
25 Avril 2012

Midi Libre : La communication faites par vous en 2005 portant sur les approches systématiques en milieu scolaire ne contient-elle pas quelques éléments de réponses à tous ces questionnements autour de la grève des enseignants ?
Madame Benzerafa : Je dirais certes, et je vous remercie d’y avoir pensé, mais vous faites bien de souligner que ma modeste étude n’apporte que quelques éléments de réponses.

Tout ce qui peut éclairer une situation difficile est le bienvenu,
et à la lecture de votre essai, on se rend compte que les approches systémiques peuvent réellement
aider ?
La relation éleve-enseignant est à la base de toute prise en charge pédagogique. Une classe est un peu le microcosme d’une société et fonctionne comme tel. Il y a hiérarchie, sous système et cycle vital. Une relation saine, une maîtrise des sous-systèmes et un respect de la hiérarchie ne peuvent que générer bien-être et résultats probants.

Comment raisonner cette grève des enseignants dans la tête d’un systémicien ou mieux d’un thérapeute familial ?
Cela fait très mal et en même temps comme toute crise, elle est salutaire : cela veut dire que des personnes réagissent sainement à un blocage du cycle vital, à une crispation des faits dans une «histoire» qui se déroule très mal !

Comment allez-vous procéder ?
Ce n’est pas à moi de procéder, mais disons qu’il faut mettre tout à plat et faire un grand génograme, ce schéma qui propose de parler du passé pour comprendre comment s’est installé le présent, ce présent porteur de marasme, de conflits jamais résolus, de fortes demandes lancées dans un vide sidéral. Ce présent inévitable ne peut aboutir de manière solide sur le futur, celui-ci n’est envisageable que si toutes les parties acceptent de se parler sans se voiler la face.

Avez-vous le sentiment que les revendications des enseignants ne sont pas uniquement d’ordre matériel ?
Tout à fait ; un mécontentement général est toujours multiforme et complexe. Au lieu de tout mettre en œuvre pour que la carrière d’un enseignant soit une belle route claire et épanouissante, ce fut et regrettable un long et pénible chemin chaotique où les essais pédagogiques se suivent sans se ressembler mais en apportant leur lot d’insatisfactions et de frustrations.

N’y a-t-il pas d’autres moyens de se faire entendre ? Des enfants déboussolés, angoissés par les échéances d’examens des programmes scolaires inachevés, cela ne risque-t-il pas de compliquer les chose ?
Surtout ne pas craindre de compliquer les choses. Parfois comme disent les systématiciens, il faut «amplifier» la crise. Des classes surchargées, des enseignants dépassés ou maltraitant, des élèves irrespectueux et même violents ; un niveau catastrophique (les enfants ne savent ni lire ni écrire, ni compter et sont admis en cycle moyen), tous les ingrédients sont là pour une situation explosive, dont la grève n’est qu’un timide avertissement !

Quand vous dites «scolaire», ne s’agit-il pas que de l’école proprement dite : de la 1re année primaire au baccalauréat ?
Non, bien sûr, je dirais qu’il y a une souffrance réelle dans tous les domaines. Etre en souffrance cela veut dire être en attente de fait non accomplie. Tout se tient, tout se touche, les modes se télescopent, se font mal. Je dirais, et cela n’engage que ma personne : l’instruction interpelle très fort les parents, ils sont partie permanente, beaucoup de parents conscients des enjeux s’impliquent réellement, d’autres malheureusement s’en remettent uniquement à l’école. Or, les enfants ont grandement besoin d’une coopération active, sereine et intelligente entre leurs parents, l’école et les enseignants, des espaces et des horaires devraient êtres aménagés dans ce sens.

Ne croyez-vous pas que dans l’état actuel des choses ce soit trop difficile à établir, alors que les priorités sont multiples ?
On obtient rien si au début on néglige le but à atteindre, une philosophie de l’instruction. Celle-ci, dans ce qu’elle a d’absolu, dans la valeur intrinsèque qui est la sienne, dans son devenir, a été plus que négligée, assassinée même, sans exagérer. Les années charnières ont trop duré sans déboucher sur une prise de conscience d’une Ecole algérienne spécifique et ouverte au monde et à son évolution.

Peut-on parler de passivité des parties prenantes ?
Oui, c’est notre passivité à tous qui a permis cette détérioration et ce marasme. Il est dangereux et interdit d’incriminer tous les parents. Je ne me le permettrai pas mais j’en connais beaucoup qui se reposent et se déchargent entièrement sur l’école et les enseignants. Or l’enfant ne reste que quelques heures en classe ! Tout le reste appartient aux parents. Préparer l’enfant à l’école est une mission importante trop negligée chez nous. Quels sont les parents qui font répéter à leurs enfants la sourate "A lam nacherah laka sadraka" la veille de la rentrée avec un compliment pour l’enseignent et une petite fête familiale pour honorer cet enfant afin de marquer son esprit durablement ? Or cela se faisait encore au début du XXe siècle et est complètement abandonné aujourd’hui. De quelle manière, la séparation, l’intégration à l’école, ses sentiments envers son maître et ses camarades, tout cela est-il travaillé à la maison ? Quelles sont les réponses des parents face à l’angoisse du jeune enfant ? Tout cela devrait être travaillé avec l’enfant, entre l’enfant et ses parents, entre l’enseignant. Rencontre, émission, questionnaires, tout doit être installé, pour que personne ne puisse dire. «Je ne savais pas, ce n’est pas mon rôle.»

Vous souhaiteriez-vous que la formation aux approches systématiques soit ouverte aux enseignants ; cela est-il envisageable ?
Cette option devait être proposée au ministère de l’Education par les enseignants eux-mêmes. Une fois sensibilisée par les médias à ces approches, cette formation pourrait être proposée durant les vacances scolaires et un certain profil de modules serait choisi et préparé dans ce cadre bien spécifique.
Je sais pour l’avoir expérimenté dans une classe, que «l’approche contextuelle» a beaucoup aidé, tous les élèves que l’enseignant et les parents, à comprendre ce qui se passait en eux et entre eux, à donner le meilleur que l’on puisse pour la plénitude de tous.

Si vous deviez nous indiquer brièvement une méthode qui appartienne à la thérapie familiale que nous diriez-vous ?
Pour cette fois, je m’inspirerais de l’ouvrage de Tomas d’Asembourg intitulé «Ne soyez pas gentil, soyez vrai» et je vous citerais ce passage : «Nous ne savons pas communiquer, nous ne faisons que des monologues intérieurs, il n’y a pas de rencontre, nous ne savons pas écouter, ni formuler nos réels besoins, nous nous croisons certes, mais nous nous "manquons". C’est en travaillant à la conscience complémentaire que nous pouvons goûter à l’unité dans la diversité.»
Ce qui se passe entre un enseignant qui prend en grippe un élève et rabaisse souvent, l’enfant qui répond avec insolence et poursuit ses agissement incorrects, les parents qui enveniment les choses en s’en prenant à l’enseignant, tout cela installe la cacophonie, la non-communication et aucune solution ne voit le jour.

Parmi tous les constats que vous faites autour de l’école et de sa désorganisation, quel est le fait de la société qui vous interpelle le plus ?
Ce sont les fameux cours de soutien ! Alors là, j’explose carrément, mais rendez-vous compte peu ! Un enfant de première année primaire qui suit des cours de soutien scolaire ? De quelles lacunes non comblées s’agit-il ? On aimerait bien le savoir ! Peut-il encore faire confiance à son enseignant en classe et aux cours dispensés dans le cadre scolaire ? J’en doute ! Ne serait-il pas enclin à ne pas travailler en classe et à se reposer entièrement sur les cours de soutien ? Que pense t-il acheter avec l’argent de ses parents ? De meilleures notes, un passage assuré en classe supérieure ? Je ne sais pas. Attendons d’abord que cet enfant ait de réelles difficultés et c’est à son enseignant d’indiquer au maître suppléant les problèmes de l’enfant liés au retard scolaire. Ça devait être un travail de coopération entre parents, enseignants et maîtres suppléants et l’enfant aussi. Il a son mot à dire. Il s’agit de reconnaître à celui-ci la possibilité d’un effort personnel, un chemin où récompense et efforts alternent pour le bon apprentissage de la vie.

C’est à beaucoup de sagesse finalement que nous invite les approches systématiques…. ?
Certes, et nous en manquons, cela d’ailleurs porte un nom le savoir-vivre ensemble et hors de cela, point de salut, il suffit de regarder quelques années en arrière !

Pouvez-vous partager avec nos lecteurs une anecdote, quelque chose de votre expérience d’assistante scolaire bénévole au cours de la période du terrorisme ?
Bien sûr avec joie. Il m’est arrivé que pour aider un jeune élève à se présenter au BEF, j’ai dû me rendre sur des hauteurs escarpées alors que le soir tombait. Imaginez ma frayeur ! Ce garçon brillant en toute matière avait de grosses difficultés en langue française et risquait d’interrompre ses études. Figurez vous qu’un seul cours lui a suffit pour obtenir une note passable.

Par : Ourida Ait Ali

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