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Edition du 17 Avril 2012



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Professeur Farid Kacha* au Midi Libre
Le suicide, une façon de punir l’autre : «A moi la mort, à toi le remords»
4 Avril 2012

Nous avons interrogé le docteur Farid Kacha, président de la Société algérienne de psychiatrie, imminent professeur en psychiatrie connu mondialement, qui a bien voulu répondre à nos questions. Ainsi, il nous parlera des conduites suicidaires dans le monde en général et dans notre pays en particulier, de ces suicides précoces qui ont défrayé la chronique, de l’épidémiologie, en l’occurrence du rapport suicide-affections psychiatriques et, enfin, des mesures préventives.

Midi Libre : On a l’impression que le suicide prend de l’ampleur en Algérie et particulièrement en Kabylie ; peut-on en connaître les mobiles ?

Professeur F. Kacha : Ce qu’il faut dire est que le suicide, phénomène universel, existe depuis la nuit des temps. Il n’est pas nouveau, ni lié à l’Algérie ou à la Kabylie uniquement. Les êtres humains ont toujours utilisé le suicide pour des raisons complexes et variées. Pour vous donner un exemple, en France, il y a chaque année à peu près 11.000 suicides et 120.000 tentatives de suicide pour une population de 60 millions d’habitants. Chez nous, on a jamais atteint ce taux, c’est-à-dire pour 30 millions d’habitants, on devrait avoir plus de 5.000 suicides par an et plus de 60.000 tentatives de suicide, alors que nous atteignons peut-être à peine 1 millier. Cela veut dire que nous avons 5 fois moins de suicide et de tentatives de suicide qu’en France bien que ce pays ait plus de moyens de prévenir ce fléau. C’est même un pays qui a le plus de psychiatres au monde après les Etats-Unis et la Suisse.

Pourquoi alors a-t-on l’impression que ce phénomène prend des proportions alarmantes chez nous ?
Parce que nous ne tenons pas de statistiques officielles ni des suicides ni des tentatives de suicide. Si on avait une évaluation annuelle, là on pourrait dire si le phénomène a pris de l’ampleur ou non. En plus, pendant une vingtaine d’années, les cas de suicide n’étaient pas médiatisés et dès que nous avons commencé à le faire, on a l’impression que ce phénomène a pris de l’ampleur car les médias en parlent de plus en plus.

Pourquoi à un certain moment on dramatise et on en parle plus ?
C’est dans les moments où ça ne va pas. On veut prouver que les gens souffrent, que la situation est catastrophique et on se dit que voilà les gens sont en train de se suicider, alors que cela a toujours existé.

Comment expliquez-vous cette nouvelle forme de se donner la mort par immolation ?
Cette forme n’était pas connue chez nous mais elle existait déjà dans l’Extrême-Orient. C’était une espèce de purification, de don de soi qui remonte à loin. En Inde, par exemple, lorsque le père meurt on prépare un bûché et c’est le fils qui le brûle. C’est une vision très ancienne au Moyen-Orient. Chez nous, c’est un nouveau phénomène. Pourquoi ? Ce sont des personnes qui ont des difficultés et pour attirer l’attention des responsables, ils utilisent ce moyen pour pourvoir agresser l’autre. Dire que je suis malheureux et je veux agresser telle institution, telles personnes ayant un pouvoir de résoudre nos problèmes mais qui ne font rien pour cela. C’est une façon de le culpabiliser aussi, de lui dire «à moi la mort à toi le remords». Ce sont des conduites suicidaires qui sont politisées comme ce qui s’est passé en Tunisie et on se dit s’il y a des suicides, c’est parce que la société va mal, mais c’est très difficile de lier les deux parce que les choses sont complexes.

Comment expliquez-vous ces conduites suicidaires ?
C’est l’association des choses qui se passent dans la tête, c’est-à-dire d’un type de personnalité particulière et d’un moment particulier dans la vie avec des problèmes extérieurs. Et ce n’est pas tout le monde qui réagit de la même manière vis-à-vis d’un problème extérieur. Il y a toujours des hauts et des bas et on ne peut pas supprimer tous les problèmes sociaux dans un pays. Une personne qui a les moyens de se défendre ne va pas arriver à ces extrêmes.

Qu’est-ce qui peut pousser des enfants de 11-12 ans à se donner la mort ?
Dans les suicides de l’enfant, c’est souvent pour punir l’autre, ses parents par exemple. L’enfant met longtemps à comprendre ce qu’est la mort. L’enfant croit toujours qu’après la mort on est quelque part. Il ne comprend pas qu’on peut disparaître totalement. La disparition définitive, l’enfant met du temps à l’intégrer. C’est à l’âge de 11 ans qu’on commence à réfléchir, à Dieu, à la philosophie. Et puis l’enfant n’a pas cette notion que ces parents l’aiment et ce qu’ils peuvent exiger de lui, alors cette pression ile ne la comprend pas et crois que c’est un manque d’amour. Il faut prouver à l’enfant qu’on l’aime pour le punir. Il est difficile pour l’enfant d’accepter une punition s’il n’est pas aimé ou ne se sent pas aimé.

Pourtant les parents de ces malheureuses victimes disent que tout allait bien avec leur enfant, et n’arrivent pas à cerner les mobiles de cet acte dramatique…
Dans notre culture, les parents ne sont pas proches de leurs enfants. Lorsque les parents voient leur enfant partir à l’école, rentrer à la maison, manger, s’habiller, ect. ils ont l’impression que tout fonctionne bien. Ils ne se rendent pas compte que dans l’esprit de cet enfant, il y a un tas d’idées qui s’installent et se développent et lorsqu’on ne discute pas avec son enfant, on ne lui permet pas de s’exprimer. Le père ne saura jamais si son enfant va bien. Particulièrement à cet âge-là, l’enfant a besoin de beaucoup de prestance.

Faut-il placer des psychologues dans les écoles pour orienter ces enfants ?
Il y a, en effet, des psycho- pédagogues dans des écoles. Ce sont des psychologues qui s’occupent des relations entre l’apprentissage et les enfants. En principe, ce sont eux qui vont résoudre les problèmes des enfants qui ont des difficultés scolaires. Ces psychologues détectent, donc, les situations complexes et s’ils doivent être pris en charge on les oriente vers un psychologue clinicien qui les suivront. Cela veut dire qu’on ne traîte pas les problèmes de l’enfant à l’école, mais on fait du dépistage.

Comment peut-on éviter ces drames ?
Il faut que les parents se rapprochent un peu plus de leur enfant, surtout en début d’adolescence. On doit leur permette de s’exprimer et dire ce qui ne va pas. Ne pas exiger d’eux ce qu’il ne peuvent pas réaliser (comme être premier de la classe). Chaque enfant a des problèmes particuliers qu’il peut exprimer si on lui donne la parole.

*Professeur Farid Kacha
- Chef du service hospitalo-universitaire de la clinique psychiatrique de Chéraga. Expert psychiatre près des tribunaux d’Alger.
- Auteur de nombreux ouvrages scientifiques dont «Psychiatrie et psychologie médicale».
- Fondateur et rédacteur en chef de la revue algérienne «Le lien psy».
- Membre fondateur de l’association «Rencontres franco-maghrébines de psychiatrie» et de «L’association algéro-française de psychiatrie», 
Prix maghrébin de médecine en 1988

Par : Ourida Ait Ali

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