Au niveau du marché formel ou informel du DVD, on note cette soudaine percée du dessin animé. Une percée d’autant plus confortée qu’elle s’appuie sur le développement ces dernières années des TIC (technologies de l’information et de la communication). On trouve de tout. Les personnages de Walt Disney côtoient Tintin, Shrek, Fanboy et Chumchum, Kirikou et la sorcière etc. Comment expliquer ce boom du dessin animé en Algérie ? Qu’en est-il du contenu algérien ? Quelle est la contribution de l’Etat dans le développement du contenu en matière des films d’animation ? Enquête.
Les Algériens sont devenus des DVDvores. Ça se remarque à la manière dont ils scrutent un DVD avant de l’acheter. Ça se remarque aussi aux soins que mettent les marchands à la sauvette pour présenter leurs produits. L’essor des techniques d’impression permet désormais de reproduire les images couleur ornant les jaquettes des DVD avec une résolution quasi parfaite. Les accros de DVD éprouveraient le même type de plaisir que les amateurs de livre à ce moment précis où leur tombe sous la main un auteur de renom ou un sujet qui leur tient à cœur. Léger comme un papillon, le DVD s’est propagé partout, virevoltant jusque dans les foyers et les chaumières les plus éloignées. Il a conquis le Sahara, les Hauts-Plateaux et la montagne, gagné les cœurs ainsi que les consciences des grands et petits. Dans ce marché formel ou informel du DVD, on note cette soudaine percée du dessin animé. Une percée d’autant plus confortée qu’elle s’appuie sur le développement ces dernières années des TIC (Technologies de l’information et de la communication). On trouve de tout. Les personnages de Walt Disney côtoient Tintin, Shrek, Fanboy et Chumchum, Kirikou et la sorcière, etc. Si les enfants paraissent commander les achats, les parents, voire la famille entière, trouveront bien un moment pour les regarder ensemble, ou séparément. Comment expliquer ce boom du dessin animé en Algérie ?
La révolution numérique
La production filmique algérienne de dessins animés remonte au début de l’Indépendance, elle est essentiellement supportée par la télévison. Des personnages sont créés, notamment par Mohamed Aram comme H’mimo qui a donné lieu à une série : H’mimo en danger, Le baptême de H’mimo, H’mimo et les allumettes, H’mimo et le kanoune. Mais trop sporadiques pour marquer les esprits, en plus du fait qu’à l’époque la tv n’était guère accessible pour tout le monde, ces films ont fini malheureusement par tomber dans l’oubli. Lorsqu’en novembre 2009, l’ENTV annonce la réalisation du Lion et la bûcheronne, une adaptation de l’Attentat de Yasmina Khadra, la presse évoque « L’avant-première du premier dessin animé algérien ». N’empêche les films de dessins animés bénéficient aujourd’hui des retombées de la révolution informatique, qui permet de faire des économies de temps et d’argent. Autrefois, on utilisait des moyens lourds qui combinent caméra, dessins à la main et des enregistrements sur disques avec souvent la même voix prêtée à plusieurs personnages. À l’ère de la révolution numérique, les films d’animation s’adossent à une nouvelle technique : l’image de synthèse. Il suffit d’un ordinateur ainsi que de la maîtrise des savoir-faire y afférents. L’Internet et le l’e-enseignement ont contribué à la diffusion de la formation en matière de production du film d’animation. Dès lors que la création dépasse le cadre individuel, on crée le studio d’animation. Il s’agira alors de mémoriser dans le PC des images dessinées, ou des photographies prises avec un appareil numérique ou créées sur ordinateur. Le tout agencé d’une manière logique, la progression faisant dérouler le mouvement dans le sens d’un déploiement d’activités incessantes. Interviennent alors plusieurs techniques : la manipulation des objets 2D, l’animation en volume qui utilise les objets 3D, le dessin animé, l’animation de synthèse (Animation 3D, animation 2D numérique). L’arsenal de l’animateur des bandes dessinées est composé, grosso modo, d’un ordinateur, d’un scanner, d’une carte graphique, d’une carte-son professionnelle, de périphériques dédiés et d’une tablette graphique. Question couleurs, on peut opter pour les logiciels Gimp ou Photoshop, question animation, on peut choisir entre Blender ou Flash, et question montage et composition, il faut trancher entre Cinepaint ou Adobe première, et question musique et bruitages entre Audacity et Fruity loops.
Les dessins animés, qu’il convient de ranger dans la catégorie des arts de masse, ont dû valoir en termes de budget des montants faramineux. Sorti en 2004 du studio de la compagnie de Spielberg, DreamWorks, Shrek2 est revenu à 150 millions de dollars. Les recettes qu’il a engrangées, soit 920 millions de dollars, ont fait de lui en 2010 le film le plus vendu dans le monde. C’est dire l’importance de ce marché qui a des débouchés planétaires.
Le dessin animé algérien
Le dessin animé algérien est encore à l’état embryonnaire. S’il existe depuis le début de la décennie 2000, il n’arrive pas encore à occuper les écrans de télévision, encore moins à s’investir dans le créneau juteux du DVD. Le nombre d’ateliers d’animation se compte sur les doigts d’une seule main. En novembre 2006, Mohamed Aram, doyen des bédéistes et ex-responsable du service des films d’animation au Centre national du cinéma, en avait évalué le nombre à cinq. « Il faut produire pendant longtemps pour espérer marquer son temps. Si on se donne à fond, et si on arrive à cumuler du travail pendant 15 ans, on sera en mesure d’occuper la grille de la télévision d’une manière continue » soutient Bachir Seddik, directeur artistique au studio El Bouraq. Un studio qu’il a cofondé grâce à un prêt Ansej avec son frère Tayeb Cherif, qui en est le directeur. L’histoire de ses débuts explique pourquoi cette entreprise a pris le risque de s’aventurer sur un terrain aussi miné et plein d’embûches que celui de l’édition. Installé à Hussein Dey à Alger, ce studio a à son actif sept films de dessins animés. Son client principal, sinon l’unique, reste la Télévision algérienne. Tous les produits que l’entreprise conçoit, elle les destine à l’ENTV. « On ne peut pas concevoir dans l’état actuel des choses la vente de nos produits dans le commerce à cause du piratage. Si on nous garantit que nous pourrions recouvrer les sommes qui nous sont dues jusqu’à un certain seuil, rien ne nous empêcherait de graver nos produits sur les DVD » affirme Tayeb Cherif. « La plupart de ceux qui revendent les DVD ne font pas de production, ils ne font pas d’édition. Je connais quelques revendeurs qui sont présents au niveau du SICOM qui importent, en rachetant des licences au niveau des pays arabes, et qui font de la duplication en arabe et même en anglais. Il n’y a pas de production nationale » déplore Idir Hocine, directeur de la boîte de communication Mira, coorganisatrice avec la Safex depuis 2000 du Salon de l’informatique SICOM. Et l’organisateur du SICOM d’ajouter « un investisseur ne peut se lancer dans une affaire que lorsqu’il y a une demande en face de lui. Mais quand une demande est satisfaite par un marché parallèle et l’importation, il y a cette solution de facilité qui freine l’obligation d’investir. L’investisseur ne voit pas l’utilité d’investir. Parce qu’il ne suffit pas de produire, encore faut-il créer, employer des artistes, des enseignants, des pédagogues et des programmateurs ». Pour le directeur du studio El Bouraq « gérer un atelier d’animation revient excessivement cher ». « Un dessinateur fait un travail manuel, il est impossible qu’on puisse le rémunérer à l’heure. Nous nous en tirons en lui payant un cachet » nous confie-t-il. El Bouraq a produit du reste pour l’ENTV une fresque historique de 52 épisodes de 26 minutes chacun, embrassant toute l’histoire de l’Algérie. Ce film d’animation commandé par le ministère des moudjahidine (pour être diffusé à la Télévision) a nécessité 5 ans de travail et une enveloppe de 50 millions DA. Selon Tayeb Cherif, pour ce film, El Bouraq a obtenu un crédit de 20 millions DA. Mais en cours de route, des « blocages bureaucratiques » sont venus y interférer, déplore-t-il. Ce qui a dû retarder, de deux ans, la finalisation de l’œuvre. L’édition de DVD finalement est tributaire de la demande institutionnelle. En moyenne, soutient Tayeb Cherif, un film de dessin animé coûte entre 30 et 40 millions DA environ. « Quand nous sollicitons de nouveaux financements pour un projet, on nous dit, on ne peut pas vous satisfaire du moment que avez déjà bénéficié par le passé d’un crédit, il y a donc un problème » regrette le directeur d’El Bouraq. La production d’El Bouraq peut-elle être exportée ? Non répond le directeur artistique de ce studio. Selon lui les pays arabes du Moyen-Orient qui sont susceptibles d’être intéressés par les œuvres algériennes en arabe, ne sont pas preneurs, vu que « la quantité produite chez nous est extrêmement faible. « Ils ne veulent pas se contenter de quelques épisodes, mais de kilomètres de films » assène-t-il. Toujours est-il que les professionnels insistent sur la nécessité de jeter les jalons d’une industrie de dessins animés. Une réflexion a été engagée dans ce sens. Il a été notamment question, d’une part, de la création d’un module de formation en dessins animés au niveau de l’École supérieure des Beaux-arts d’Alger, et de l’autre, lancer un festival euro-méditerranéen du film d’animation en Algérie. René Borg, créateur de Shadoks, s’est même dit partant pour ces projets. Mais une source proche de l’École des beaux-arts nous a affirmé qu’elle ignorait la suite qui a été donnée à ces projets.
Le retour des langues
populaires et étrangères
La prolifération des DVD, rendue possible grâce à l’existence de procédés de lecture qui facilitent leur exploitation (lecteur DVD intégré à l’ordinateur, ou relié à l’écran de télévision ou lecteur autonome), consacre la démocratisation de la communication et de l’information. « Les DVD sont visionnés dans la plupart des cas par les lecteurs connectés à un écran télé » croit savoir un marchand de ces produits. Selon lui le PC familial est souvent réservé pour des tâches plus utilitaires. « L’opération Oustratic, y est pour beaucoup dans la dotation des familles algériennes en
micro-ordinateurs » rappelle Idir Hocine de MIRA. Quoiqu’il en soit, ces conditions favorables à la diffusion des TIC dans la société algérienne ont eu pour effet immédiat d’avoir à portée de clic et de main toutes les langues du monde. Autre conséquence de cet état de faits : l’effondrement des autorités linguistiques, c’est-à-dire le contrôle institutionnel quant à l’utilisation des différentes langues en usage en Algérie. Hormis l’arabe classique et le tamazight dont la percée parait cadrer avec l’effort engagé par l’Etat en vue de réhabiliter ces langues, les autres paraissent amorcer leur retour en contournant les orientations officielles en matière linguistique. La langue des dessins animés, en tant que ceux-ci sont destinés prioritairement aux enfants, a été jusque là toujours objet de contrôle de la part des pouvoirs publics qui selon leur vision devait se conformer aux normes de l’arabe classique. Bachir, directeur artistique d’El Bouraq reconnaît du reste que la série éducative Maher destinée aux enfants que son studio a conçu en arabe classique pour l’ENTV n’a pas eu l’impact escompté. Son visage s’illumine en revanche dès qu’il dût parler de la série intitulée L’Inspecteur Tahar, un dessin animé produit en arabe dialectal qui met en scène des personnages légendaires du cinéma algérien des années 70. Et de confesser « oui pour ce film-là nous avions eu beaucoup d’écho. Des enfants qui ont regardé le film dans des salles de projection ont applaudi et étaient sortis ébahis et enthousiasmés ». N’empêche, le marché linguistique via les DVD semble se redessiner sous l’impulsion commerciale, aucun investisseur ne voulant perdre de l’argent rien que pour coller à certains canons édictés par le haut. Que ce soit dans le formel ou dans l’informel, les DVD adaptés en tamazight, variante kabyle, pullulent. A Alger où il est quasiment impossible de trouver en librairie le moindre livre scolaire en tamazight du fait de l’absence au niveau de la capitale d’enseignement de cette langue, il est aisé en revanche d’y trouver des DVD en cette langue. « Nous faisons nos films en arabe, mais nous faisons des traductions à la carte. Par exemple nous avons fait des doublages au profit de l’ENTV (chaine 4 tamazight) qui a exprimé beaucoup de demandes en matière de films d’animation, cela dit quand on nous le demande nous traduisons même vers l’arabe dialectal » précise le directeur artistique d’El Bouraq. Et d’ajouter « notre souci est de conférer un contenu algérien à nos produits. Nous veillons à ce qu’il y ait dans l’arabe que nous utilisons des mots turcs, kabyles, et même du pourtour de la Méditerranée afin d’imprimer à nos œuvres une empreinte
algérienne ». Même souci, et même plus, exprimé par Mourad Senouci, le scénariste du Lion et la bûcheronne, pourtant réalisé pour le compte de l’ENTV. Il dira à la presse : « Il n’y avait nulle honte à utiliser l’arabe dialectal ». Qui oriente l’achat du matériel informatique ?
Idir Hocine se montre catégorique : « C’est l’enfant dont les goûts sont formés par l’environnement, l’école, Internet et surtout les chaines de TV satellitaires ». Et d’ajouter « les chaines satellitaires regardées par nos petits participent dans la fabrication de la demande sociale en matière de dessins animés, d’où ce rejaillissement dans nos magasins des titres américains, français et japonais ». Les crèches, les garderies et les jardins d’enfants (relevant du secteur privé) sont autant d’espaces où se consomment les dessins animés même en français, désormais facilement exploitables au moyen d’un quelconque lecteur numérique.
Les DVD en tamazight,
un phénomène nouveau
L’adaptation des œuvres étrangères en kabyle a connu ces dernières années un essor remarquable, plus particulièrement en Kabylie. Commencée en 2010, cette entreprise explose l’année suivante, presque sans aucune préparation et sans que rien ne l’ait laissé présager. Elle est l’œuvre de techniciens locaux ayant été peu ou prou formés en informatique. Leur créneau demeure la traduction en kabyle des œuvres étrangères moyennant bien sûr le payement des droits y afférent. Si le succès a été au rendez-vous, l’opération n’en est pas moins risquée puisque même ce travail de réduplication assorti d’une adaptation, a été la cible de pirates. « Ça a marché au niveau des wilayas de Tizi-Ouzou et de Béjaïa, mais arrivés à Bouira, les DVD doublés ont été imités avant d’être injectés dans le circuit informel » soutient un éditeur. Pour avoir une idée du nombre d’exemplaires d’œuvres (à contenu étranger) édités en Algérie, nous nous sommes rapprochés de l’Office national des droits d’auteur et des droits voisins (ONDA). Selon Ali Chabane, directeur des normes contractuelles tarifaires et du contrôle au niveau dudit organisme, « l’ONDA a autorisé 1, 5 million exemplaires (DVD et VCD) pendant l’exercice 2011 dont 120.000 en
kabyle ». Les 120.000 DVD en tamazight, répartis en 6 titres sont tous des dessins animés indique-t-on. « C’est un phénomène
nouveau » souligne Ali Chabane. Mais le dessin animé ne représente que 10 % des 1, 5 million d’exemplaires précise-t-il. Les 90 % restant étant des films de fiction (guerre, policier, aventures, etc.) Quant à la subvention à la création des œuvres produites en Algérie, une source du ministère de la Culture, dont dépend l’Agence algérienne du rayonnement culturel (AARC) et le Fonds du développement des arts et techniques et de l’industrie cinématographique (FDATIC), nous a confié que sur 58 projets de films (23 long-métrages, 15 court-métrages, 19 documentaires et 1 dessins animés) transmis durant 2011 à la commission de lecture du FDATIC, il n’en a été retenu que 16 films qui ont réussi à arracher une subvention (11 de long-métrage, 1 de court-métrage et 4 documentaires). A titre indicatif, l’un de ces films s’est vu attribuer 20 millions DA. Mais l’unique film de dessins animés n’a pas été retenu.