C’est le principal message que le Professeur Ahmed Bendib voudrait transmettre. Pour cela, il demande l’engagement de tout un chacun, surtout au plan financier, même symboliquement, à part, bien entendu, les déshérités.
Midi Libre : Qu’en est-il du problème de l’indisponibilité des médicaments et de la prise en charge des malades atteints de cancer ?
Professeur A. Bendib : Le problème de l’indisponibilité des médicaments n’est pas récent. Mais il faut reconnaître aussi que les autorités ont fait beaucoup d’efforts et que beaucoup d’argent a été investi (la facture du médicament a été multipliée par quatre en 10 ans ; elle est à plus de 2 milliards de dinars). Ce qu’il faut regretter c’est une désorganisation entre les différentes structures qui s’occupent de l’achat et de la distribution des médicaments. Il y a des choses qui ne se font pas de manière orthodoxe. En ce moment, il y a des pénuries de médicaments ; ceci est devenu une habitude.
Votre réponse appelle une question de notre part ; qu’en est-il alors de la performance globale de notre système de santé ?
Notre système de santé, qui est très généreux, voudrait donner un peu à tout le monde mais c’est une chose qu’on ne peut pas faire. Il faut savoir que pour administrer une cure de chimiothérapie en cas d’un cancer cela nécessite la prise de 3 ou 4 médicaments.
Aussi, lorsque l’un vient à manquer c’est toute la thérapie qui est perturbée donc tous ces traitements demandent une organisation très rigoureuse et, malheureusement, ce n’est pas le cas.
En ce moment on parle d’un programme de dépistage, y a-t-il de bonnes structures pour le faire?
Il n’y a pas de programme de dépistage pour le cancer du sein et du col utérin. Les gens en parlent mais ce n’est pas très sérieux. Pour faire du dépistage, il faut d’abord traiter les malades qui sont atteints de cancer avant d’aller chercher d’autres malades.
A ce niveau-là, il y a un problème de moyens humains, c’est-à-dire de médecins qualifiés pour faire des dépistages de toutes maladies confondues. Par exemple, pour les frottis cervicaux vaginaux, il faut des lecteurs spéciaux et ce n’est pas n’importe qui qui peut le faire. Il faudrait le faire convenablement et il faudrait 6 millions de frottis par an pour couvrir l’ensemble des femmes à travers le territoire et nous sommes très loin de cela.
Et pour le dépistage du cancer du sein ?
C’est encore plus difficile parce qu’il faut des mammographes de qualité et il faudrait des radiologues entraînés à la lecture des mammographies, et cela n’existe pas partout à travres le territoire national.
Ainsi, ce que possède, par exemple, le CPMC comme moyens doit être le modèle minimum pour tous les autres centres au niveau de notre pays. Il ne faut pas oublier que l’Algérie est un pays en voie de développement et on manque d’équipements et il ne faut pas croire que les possibilités des pays avancés sont les nôtres et que le dépistage précoce remplace les médicaments. Il ne faut pas rêver car ce n’est pas le cas. Il faut d’abord traiter convenablement les patientes qui arrivent dans les centres et parler ensuite du dépistage précoce.
Généralement, les patientes atteintes du cancer, à quel stade de leur maladie se présentent-elles chez vous?
Etant un homme de terrain avec mon équipe, je dirais qu’il y a sur ce plan des progrès. En 1995, près de 80% des malades arrivaient aux stades 3 et 4 de leur tumeur. Actuellement, nous avons seulement 40% qui sont à ces stades.
La situation s’est quelque peu améliorée et aujourd’hui on reçoit plus de malades au stade précoce et uniquement 40% aux stades 3 et 4. Les gens nous dirons qu’en est-il des autres centres, mais il faut savoir que notre responsabilité s’arrête aux portes du CPMC dont je suis responsable. Si les gens nous avaient imité dans ce qu’on a fait dans ce service depuis 30 ans, on n’en serait certainement pas là à recevoir des malades qui viennent de l’intérieur du pays avec toutes les difficultés auxquelles ils sont confrontées.
Pourtant, on dit qu’il y a des centres ouverts un peu partout à travers le territoire national…
C’est ce qui se dit mais cette information est loin d’être vérifiée et toujours est-il, près de 60% des malades traités dans notre service ne sont pas d’Alger. Lorsqu’on sait qu’à Alger il y a des pénuries de médicaments et des appareils qui tombent en panne, comment voulez-vous croire qu’à l’intérieur du pays, les choses ont évolué. C’est cela la triste réalité.
Y a-t-il des progrès au CPMC ?
Ce que je peux dire, c’est qu’au CPMC, il y a des progrès dans la prise en charge de ces malades. Si en 1995 on prenait en charge 300 malades, actuellement on en prend 900. C’est vrai que l’incidence du cancer du sein augmente mais jusqu’en 2008, les malades étaient traités convenablement. Ils recevaient la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie.
Depuis la fin 2008, il y a une dégradation de la prise en charge des malades qui sont traités partiellement. Ici, par exemple, en chirurgie, les malades qui font leurs bilans à titre externe, lorsqu’ils sont hospitalisés un samedi, dimanche ils sont opérés. Mais bien que la chirurgie soit le traitement de référence du cancer du sein, les malades ont besoin par la suite de chimiothérapie et de radiothérapie et c’est là que commencent pour eux les vrais problèmes, qui ne sont pas toujours réglés. Actuellement, il y a des malades qui partent en France, en Tunisie, au Maroc et le dernier pays qui est maintenant à la mode c’est la Turquie et, malheureusement, lorsqu’on constate que des malades quittent leur pays pour se faire soigner ailleurs c’est la preuve que dans leur pays ils ne trouvent pas ce qu’il faut.
Y a-t-il un début de solution à ces problèmes que vous venez d’énumérer ?
Cela fait des années que j’ai demandé la création de deux services d’oncologies médicales. Ces services ont finalement vu le jour, un à Beau fraisier, l’autre à Rouïba ; c’est formidable.
Ces services devaient exister bien avant mais ça ne fait rien, mieux vaut tard que jamais. Maintenant, il faut créer en urgence deux autres services de radiothérapie à Alger pour prendre en charge les malades qui n’arrivent pas à suivre leur traitement comme il se doit.
Un dernier mot….
Il y a un lourd problème que je ne cesse de ressasser. Notre système de santé a besoin d’être reformé, sinon il va mourir car nous avons une demande supérieure aux possibilités de soins. Même les malades qui sont pris en charge le sont partiellement, cela altère l’efficacité et les résultats se font ressentir étant donné qu’en cancérologie, il faut une prise en charge totale et efficace vu que le traitement est très lourd, très onéreux et, en outre, avec des effets secondaires sévères.
Donc, les malades qui n’ont pas reçu de traitement adéquat et complet au bon moment vont avoir des désagréments très importants, malgré les dépenses financières effectuées. De ce fait, je réitère mes propos : il faut réformer notre système de santé. Il n’y a pas de raison pour qu’à la limite, il n’y est pas une participation financière des individus par exemple même si c’est symbolique cela aidera notre système de santé à se remettre en cause. Tout le monde doit se sentir responsable. Je ne parle pas de ceux qui ne peuvent pas payer, car ces gens-là devraient être la préoccupation des pouvoirs publics et des médecins dont je suis.
*Professeur Ahmed Bendib, Chef de service en chirurgie sénologie
au CPMC
Président du conseil médical
de sénologie CPMC