Le Midi Libre - entretien - «Au-delà de 6 mois, la douleur devient une maladie en elle-même»
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Edition du 8 Fevrier 2012



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Docteur Mahmoud Aroua* au Midi Libre
«Au-delà de 6 mois, la douleur devient une maladie en elle-même»
8 Fevrier 2012

Le Docteur Aroua s’est penché sur le problème de la douleur. Dans cet interview, il nous explique clairement que la douleur aiguë peut se traiter avec des antalgiques mais lorsque elle va au-delà de 6 mois, elle devient chronique et une maladie en elle-même. Celle-ci est parfois difficile à cerner et il faut une médecine multi- factorielle pour la soulager.

Vous avez écrit un ouvrage sur la douleur, pouvez-vous nous définir ce qu’est la douleur ?
La douleur est un signe d’alarme qui indique que nous souffrons d’un mal quelconque. Sans la douleur, on ne peut pas savoir qu’il y a quelque chose qui ne va pas bien dans notre organisme.
C’est l’un des premiers symptômes d’une maladie sous-jacente. Elle peut provenir d’une affection d’un organe.
Cette douleur on l’appelle douleur aiguë et on peut la traiter rapidement et simplement avec des médicaments antalgiques ; mais voilà ce qu’il faut retenir : il y a deux sortes de douleurs : la douleur aiguë et la douleur chronique ; cette dernière est difficile à traiter et peut-être handicapante à terme.

Comment expliquez-vous la douleur chronique ?
On parle de douleur chronique lorsque celle-ci persiste au-delà de 6 mois et parfois on ne connaît pas son origine, et cela évidemment va se répercuter sur le psychisme. A ce moment-là, cette douleur devient une maladie et non un symptôme. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a justement tiré la sonnette d’alarme car la douleur chronique n’est pas prise en charge comme elle se doit bien que nous soyons au XXIe siècle et malgré tous les moyens dont la science dispose. Il y a lieu de noter, en outre, qu’à ce jour, nous n’arrivons pas à établir une définition exacte de la douleur chronique. En effet, il y a tellement de facteurs qui interviennent dans cette douleur qu’on peut juste avoir une idée approximative. Concernant donc son traitement, plusieurs éléments sont à prendre en considération.

Est-ce qu’on arrive à la guérir ou du mois à l’atténuer même dans le cas où la médecine ne l’a toujours pas définie ?
Difficilement, Depuis les années 70-80, on a créé dans le monde plusieurs centres pluridisciplinaires du traitement de la douleur. A Alger, il y a le Centre Pierre et Marie Curie (CPMC) où l’on traite toutes les douleurs, en général.

Pourquoi appelle-t-on ces centres «multidisciplinaires» ?
Parce qu’il faut un ensemble de médecins pour la prise en charge de la douleur, psychologues, anesthésiste, médecins généralistes, internistes, chirurgiens, oncologues… Comme nous l’avons dit précédemment, la douleur chronique peut avoir des raisons multifactorielles. Dans la douleur chronique, tous les organes interviennent, il y a aussi la mémoire, les souvenirs… Par exemple, si dans votre jeunesse vous avez arraché une dent et vous avez particulièrement souffert, la mémoire enregistre indélébilement cette douleur. Les enfants qui ont été piqués douloureusement n’oublient jamais ce traumatisme et c’est cela qui rend la douleur difficile à guérir.

Dans votre ouvrage, comment avez-vous présenté le traitement de la douleur ?
Dans cet ouvrage, j’ai tenté de démontrer historiquement ce que la médecine arabe a apporté dans le traitement et la prise en charge de la douleur. Lorsqu’on pense qu’au premier millénaire la médecine n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui néanmoins la douleur était déjà prise en charge.
Dans la première partie de mon livre, j’ai parlé de la médecine gréco-romaine. Ensuite, j’ai essayé de démontrer l’originalité de la médecine arabe par rapport à ce qui se faisait antérieurement et ce qu’elle a apporté de nouveau. Au Moyen Age et ce, jusqu’au XVIIIe siècle, les gens ne voulaient pas traiter la douleur car il la considérait comme étant un signe fatal.
Avant la découverte des anesthésiants, lorsqu’on opérait un malade on lui administrait de l’alcool, ou on lui mettait un morceau de plomb à tenir entre les dents, ou bien on l’attachait puis on l’opérait. Ce n’est qu’après la découverte des médicaments anesthésiques qu’on a pu maîtriser cette douleur. Mais dans la médecine arabe, il y a eu justement une période où les gens traitaient cette douleur avec des herbes telle que l’opium
Afin de soulager les patients, ils traitaient aussi sur le plan psychique. Dans les grands hôpitaux arabes, on traitait les maladies psychiatriques avec humanisme et pour cela il y avait des services de relaxation, de musique. Et actuellement, depuis une trentaine d’années, on revient à cette méthode. C’est-à-dire on associe ces séances de relaxation à des médicaments.

Dans le dernier chapitre de votre ouvrage, vous vous interrogez de ce qui reste de cette médecine ancienne et de ce qu’elle peut apporter à la médecine moderne ; qu’elle en est la conclusion ?
Il y a toute une panoplie de médicaments. Mais ce qu’il faut surtout retenir de cette médecine ancienne, c’est cet humanisme qu’elle a surtout apporté. De nos jours, avec toute la technicité, on ne sait plus où donner de la tête. Ce n’est plus comme avant où c’était le médecin de famille qui s’occupait du patient. Maintenant ce sont plusieurs médecins qui doivent s’occuper du malade, donc la relation humaine individualisée se perd. En outre, j’estime qu’il serait intéressant de reprendre et de réétudier certains médicaments à base de produits naturels qui ont donné leurs preuves et qui peuvent être associés à la médecine moderne. Cela a pour but de diminuer un peu de la toxicité et des effets secondaires de la chimiothérapie. On peut citer par exemple le Pakistan et l’Inde qui ont fait des efforts remarquables dans ce sens.

Qu’en est-il chez nous du traitement de la douleur, au CPMC, par exemple ?
Chez nous, ce n’est pas toujours évident de traiter la douleur vu le manque de structures. Vous avez sans doute suivi le problème de la rupture des stocks de médicaments, du surnombre de patients, de l’insuffisance des infrastructures ; ces problèmes fondamentaux n’étant pas résolus, la bonne prise en charge de la douleur passe au second plan.

La douleur peut-elle être également d’origine psychique ?
Oui bien sûr qu’elle peut avoir une origine psychique, je vais vous citer l’exemple de ce qu’on appelle un «membre fantôme». Il y a des patients qui ont été amputé d’un membre comme les diabétiques par exemple et le patient continue à avoir mal.

Comment expliquez-vous qu’une personne peut encore ressentir de la douleur même après l’ablation de l’un de ses membres qui est justement la source de sa douleur ?
Oui, car une connexion entre le physique et le moral existe. La douleur est enregistrée dans le cerveau et le malade continue à la ressentir pendant des années même si elle n’est pas «vraie». Et c’est pour cela que je vous dis que la douleur est très difficile à cerner.
Y a-t-il une association civile qui s’occupe de recherche dans le domaine de la douleur ?
Il y a la Société algérienne de l’évaluation et du traitement de la douleur dont le Professeur Brahim Griène est président. Cette association organise souvent des congrès avec les associations internationales qui activent justement dans le traitement de la douleur.


* Docteur Mahmoud Aroua, médecin anesthésiste-réanimateur
Auteur de plusieurs ouvrages :
- Le traitement de la douleur, de la médecine arabe à la médecine moderne aux Editions Berti (2012)
- Fenêtre sur rêves (poèmes) 1998
- Comme un boomerang (nouvelles) édition Alpha 2009
- L’enfant qui ne pleure jamais (récit) édition Razhari Rbter (2011)

Par : Ourida Ait Ali

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