Avec l’avènement d’internet, sont apparues de nouvelles formes de délinquance. De l’autre côté de la Méditerrané et de l’Atlantique, on braque de moins en moins les banques ; on fait plutôt appel à des fous de l’informatique qui arrivent à vider les comptes de ceux qui ont l’imprudence de laisser leurs numéros bancaires traîner sur leur ordinateurs ou qui n’ont suffisamment pas sécurisé leurs opérations d’achats via internet.
Chez nous, nous n’en sommes pas encore là vu qu’internet est loin d’être un outil commercial. Il est pour le moment, entre autres, un moyen de sortir de son isolement et de tisser des amitiés et, accessoirement, de se jeter corps et âme dans la gueule des loups qui y rôdent.
Nawal est une mordue d’internet. Dès qu’elle ouvre les yeux le matin et avant même qu’elle ne fasse sa toilette, elle allume son ordinateur et fonce sur sa page facebook et les autres réseaux sociaux où elle s’était inscrite pour se lier d’amitié avec des gens de différents horizons. Tous des hommes, évidemment. Ce matin-là, elle avait de la chance, se dit-elle, parce qu’elle avait trouvé un mot doux arrivé vers minuit, si elle en jugeait d’après la date et l’heure qui s’étaient affichées à côté de lui. Un message doux auquel elle se donna la peine de répondre. Après quoi, elle se leva pour se laver et prendre son petit-déjeuner et partir à son travail. Au moment de s’en aller, elle jetterait un ultime regard sur son micro dans l’espoir de trouver d’autres messages et, pourquoi pas, une réponse à la …réponse qu’elle venait d’écrire à celui qui lui avait envoyé un mot doux. Mais une demi-heure plus tard, elle constata avec amertume que personne ne lui avait écrit. Ce qui l’attrista quelque peu et lui donna l’impression de ne pas exister. Elle réfléchit un moment et se dit qu’elle avait tort de se comporter ainsi et de voir du noir partout. Celui qui lui avait envoyé un message n’avait peut-être pas accès à internet aussi facilement qu’elle, voilà tout. Aussi, décida-t-elle de lui écrire un message : «Bonjour, j’aimerais discuter avec vous. Rendez-vous ce soir à 18h pile sur la toile.» Et elle laissa en guise de signature son pseudonyme : «la Vierge brune». Après quoi, elle se rendit à son travail dans une entreprise publique où les employés ne disposaient pas d’internet dans leurs bureaux, ce qui était perçu par Nawal comme étant une grande injustice. Elle avait beau être occupée, elle n’arrêtait pas de penser au message qu’elle avait reçu. Comment était l’homme qui l’avait envoyé, ne cessait-elle de se demander. Etait-il comme elle à la recherche d’une âme-sœur qui lui tiendrait compagnie durant le restant de ses jours ? Elle essaya de se remémorer chacun des mots des trois phrases qu’il avait écrites, dans le but de deviner à qui elle avait affaire. Elle ne s’était pas posé de questions au sujet de son pays d’origine parce que le message était accompagné d’un petit drapeau algérien. En revanche, elle ne savait pas si le message avait été envoyé de Bab el-Oued ou de Tindouf… Elle ne savait pas non plus si elle avait affaire à un jeune homme affectueux ou à un vieux satyre. Ses interrogations étaient si nombreuses et si angoissantes qu’à 11h, elle simula des maux de tête et fit croire à deux de ses collègues qu’elle sortait pour acheter une boîte d’aspirine. Moins de dix minutes plus tard, elle était dans un cybercafé, derrière un ordinateur. Elle était si pressée d’ouvrir sa boîte e-mail dans laquelle était arrivé le message qu’elle avait appuyé plusieurs fois sur la souris provocant ainsi l’ouverture de plusieurs fenêtres et le blocage du micro.
Elle se sentit ridicule. Elle était si seule, si malheureuse qu’un tout petit message émanant d’un inconnu dont elle ne connaissait même pas les intentions l’avait complètement transformée au point de croire que son destin était en marche. Elle appela le jeune gérant du cybercafé qui lui reprocha alors : «Je vous ai vu faire : on appuie une seule fois sur les touches. Ce n’est pas parce qu’on appuie dessus mille fois que les fenêtres s’ouvriront plus rapidement.» Il avait raison. En plus, il venait de lui dire quelque chose qu’elle savait. Elle essaya tant bien que mal de se calmer et appuya sur les touches avec délicatesse comme pour solliciter leur compassion et une généreuse intercession pour lui permettre de trouver le message qu’elle attendait. Quelques secondes plus tard, elle faillit lancer un cri de victoire. Elle avait trouvé un message. «Il» lui avait répondu ! Un message clair, limpide et plein de promesses : «J’aime les rencontres et les discussions nocturnes. A ce soir, très chère Vierge brune !» Nawal était heureuse comme si un homme jeune et beau venait de la demander officiellement en mariage. Mais elle ignorait qu’en réalité, elle venait de poser un premier pas dans les mailles du plus grand cauchemar de sa vie.
(à suivre…)