D’aucuns vous diront que de nos jours, les gens sont de plus en plus égoïstes. Ils ne se mêlent que de ce qui les regarde. Pour mieux étayer leurs dires et se donner bonne conscience, ils rappellent cette anecdote que l’on attribue à Djeha et qui aurait répondu à quelqu’un qui lui annonçait qu’il y avait le feu au village : «Pourvu que ma maison soit épargnée.» Mohamed, un homme d’une trentaine d’années, doit raisonner aujourd’hui comme Djeha après ce qui lui était arrivé.
En juin dernier, il était passé à proximité de l’hôpital de Meftah lorsqu’il avait vu deux hommes en train de se battre. Se battre n’était pas en réalité le mot approprié ; il s’agissait plutôt d’un homme relativement fort qui tabassait un autre. Mohamed se précipita sur eux et entreprit de les séparer. Ce ne fut pas facile, et dans la mêlée, il avait reçu un coup de poing d’une rare violence. Il était sur le point de réussir à séparer les deux hommes, quand soudain, il vit trois jeunes gens accourir. Il pensait qu’ils voulaient lui prêter main forte et l’aider à mener à bien son acte de générosité. Mais quelle ne fut sa surprise lorsqu’il eut vu l’un des hommes brandir un bâton dans sa direction. Avant même de comprendre ce qui se passait, il reçut un coup de bâton sur la tête qui l’assomma à moitié. Alors qu’il était dans un état second, il vit un autre sortir un couteau et lui donner un coup à la cuisse. Mohamed se voyait déjà mort… Il se mit à hurler et ses agresseurs finirent par prendre la fuite. Lorsqu’il eut repris ses esprits, il se rendit à l’hôpital près duquel il se trouvait et où il fut soigné. Il eut droit aussi à un arrêt de travail de 90 jours.
L’homme qu’il avait secouru avait disparu mais dès qu’il fut sorti de l’hôpital, celui-ci l’aborda :
-Tu vas déposer plainte contre eux ? lui demanda-t-il.
-Comment veux-tu que je dépose plainte ? Je ne les connais pas…
-Comment tu ne les as pas reconnus ? reprit alors celui-ci.
-Non…Comment veux-tu que je les reconnaisse ? Je les ai à peine entrevus à cause du coup de poing que m’a donné le grand gaillard qui était en train de t’étrangler…
-Ce grand gaillard non plus tu ne l’as pas reconnu ?
-Mais comment veux-tu que je le reconnaisse ? Je n’ai pas fait attention à la tête qu’il avait. Je n’ai pour ainsi dire vu que ses mains qui serraient ton petit cou…
-Ce sont des gens qui habitent dans le même quartier que toi…Tu habites Larbaâ, n’est-ce pas ?
-Oui, effectivement…
-Alors… si tu veux déposer plainte, tu sais qui t’a agressé : les trois s’appellent Djamel, Azzedine et Rabah… Cela devrait t’aider à les retrouver. Le grand je ne le connais pas non plus… Il est possible que les trois autres l’aient payé pour me tabasser.
Avant même que Mohamed n’ajoute quoi que ce soit l’autre a disparu.
Mohamed aurait pu oublier toute cette histoire qui lui avait quand même servi de bonne leçon : ne jamais se mêler des bagarres ! D’autant plus que le coup de couteau reçu à la cuisse était clair : on ne voulait pas le tuer mais juste lui apprendre à ne se mêler que de ses oignons. Mais il faisait partie des gens tenaces. Il roda dans son quartier et il trouva les trois jeunes gens en question dès le lendemain. Il déposa alors plainte contre eux.
Les trois hommes furent arrêtés et jugés.
Leur culpabilité ayant été prouvée, ils furent condamnés, il y a quelques jours par la cour d’Alger, à une année de prison ferme chacun et à 20.000 DA d’amende.
L’affaire n’en est pas pour autant terminée parce que Mohamed vit désormais dans l’inquiétude. Dans une année, ses trois voisins sortiront de prison…il devra alors faire très attention à lui. Ils l’avaient bien arrangé alors qu’il ne leur avait rien fait. Que lui feraient-ils subir maintenant qu’il est responsable de leur séjour en prison ? La leçon apparemment n’est toujours pas terminée !