Le Midi Libre - entretien - Peine capitale pour le monstrueux ingrat
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Edition du 3 Novembre 2011



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Crime crapuleux
Peine capitale pour le monstrueux ingrat
3 Novembre 2011

Notre hypocrisie collective nous a incité à prétendre que nous n’aimons pas l’argent que nous avons du reste affublé d’une expression dévalorisante tendant à le qualifier de saleté d’ici-bas (aw’sakh eddounia). Et pourtant, depuis que cette expression a été inventée par notre génie populaire, autour de nous on ne cesse de constater que l’argent est vénéré au point d’être à l’origine de nombreux conflits, se terminant très souvent par des meurtres. L’affaire qui va suivre, qui a été jugée ces derniers jours par la Cour d’Alger et qui donne des frissons, en est une des nombreuses illustrations.

Nous sommes en février 2009. Mahmoud, trentenaire, était en train de dîner avec sa femme et ses deux enfants lorsqu’on sonna à la porte. Il regarda sa femme et celle-ci lui dit :
- C’est probablement la voisine d’en bas… Il lui arrive souvent de s’apercevoir au dernier moment qu’il lui manque du sucre, du sel ou un oignon. Je vais voir…
- Non, c’est moi qui y vais.
- Mais puisque je te dis que c’est moi qui vais ouvrir… Cela ne se fait pas qu’un homme ouvre la porte à une femme.
- Et il est selon toi normal qu’une femme aille sonner en pleine nuit à une porte en sachant qu’il y a un risque sur deux que ce soit le mari de sa voisine qui lui ouvre ?
- Euh…Je…
Avant que sa femme n’ait ajouté quoi que ce soit, Mahmoud était déjà arrivé à la porte. En l’ouvrant, il constata que lui et sa femme s’étaient trompés. Il ne s’agissait pas de la voisine d’en bas mais d’un voisin habitant la même cité, à Bachdjarah.
- Ah ! Bonsoir, Djelloul… Qu’est-ce qui t’amène ?
- Bonsoir, Mahmoud, mon ami… j’ai à te parler.
- D’accord, j’enfile ma veste et je descends.
Latifa vit son mari se diriger vers leur chambre et prendre sa veste.
- Tu sors ? Qui t’a appelé ?
- C’est Djelloul, notre voisin d’en face… Il veut me parler
- Djelloul ?
- Tu connais bien Djelloul, le marchand de légumes ambulant.
- Ah ! Oui… mais ne tarde pas, il a une tête qui ne me revient pas.
- Oh ! Latifa… Toi et tes impressions.
- Mes impressions ne sont jamais fausses et en ce qui concerne ce type, je te prie de me croire. Il est plus de 8h du soir ; ce n’est vraiment pas le moment pour faire sortir quelqu’un de chez lui. Surtout qu’il fait très froid.
- Cesse de parler pour ne rien dire, femme. Je sais qu’il fait très froid et que ce n’est pas le moment idéal pour déranger un voisin. Et Djelloul le sait très bien aussi. S’il m’a dérangé c’est qu’il a une bonne raison de le faire. J’espère que ce n’est pas trop grave.
Mahmoud trouva son voisin de quarante ans en train de l’attendre au rez-de-chaussée.
- Excuse-moi de t’avoir dérangé, mon frère mais je n’avais pas le choix…
Mahmoud voulut ouvrir la porte de la cage d’escaliers mais le marchand de légumes l’en empêcha :
- Il est inutile que nous nous sortions ; il fait très froid et puis ce que j’ai à te dire est très court…
- Je t’écoute.
- Voilà… ce mois-ci j’ai eu beaucoup de frais et je suis à sec, j’ai besoin d’un peu d’argent.
- Combien ?
- C’est juste un prêt ; je te rembourserai avant une semaine.
- Je sais que tu vas me rembourser Djelloul, mais dis-moi combien tu veux pour que je sache si je peux t’aider.
- Cinq mille dinars. C’est surtout pour…
- D’accord, je vais te les ramener.
- …C’est surtout pour…
- S’il te plaît, Djelloul, nous sommes des voisins et tu n’as pas besoin de te justifier. Il nous arrive tous de traverser des moments difficiles. Demain, ce sera peut-être mon tour de me retrouver coincé…
- Je suis là, mon frère ! Nous sommes des hommes et les hommes sont faits pour se soutenir et se porter assistance dans les moments difficiles.
- Bien sûr Djelloul, la vie est ainsi faite ! Ne dit-on pas que même le roi peut se retrouver dans le besoin (moul ettadj ou yahtadj) ? Je reviens.
Quand Latifa vit son mari se diriger vers l’armoire de la chambre à coucher et se saisir du petit coffret en bois, elle comprit.
- Mais que fais-tu, Mahmoud ? Tu vas lui prêter de l’argent… mais tu es fou ?
- Oh ! Latifa laisse-moi tranquille. Je ne suis pas fou. C’est un voisin qui a besoin d’aide. C’est un peu comme ta voisine à qui tu donnes du sel, du sucre, des oignons, de la sauce tomate…
- Mais elle ne m’a jamais demandé de l’argent.
- Notre voisin est pris à la gorge, je l’ai senti quand il me parlait… Si je ne lui viens pas en aide alors que je peux l’aider, je me sentirai lâche et vile toute ma vie.
- Combien en veut-il ?
- 5.000 DA !
- Mais il est fou !
- Mais non, il n’est pas fou, il est juste dans le besoin. Depuis quelque temps, la vie est si difficile que personne n’est à l’abri d’une mauvaise passe. En aidant Djelloul, je suis peut-être en train de m’assurer une aide pour le jour où à mon tour je me retrouverai dans le besoin.
Dès que Mahmoud eut remis les cinq billets de mille dinars à son voisin, celui-ci lui donna une accolade et l’embrassa sur le front :
- Merci, mon frère, merci ! Que Dieu te comble de ses richesses et de ses bienfaits ! ton argent je te le rendrai au plus tard dans une semaine.
- D’accord, Djelloul… bonne nuit.
Une semaine s’écoula, puis une quinzaine de jours, puis une vingtaine et Djelloul ne s’était toujours pas manifesté pour restituer les 5.000 DA. Et depuis le dixième jour après le prêt, chaque fois que Mahmoud rentrait, sa femme, en guise de bienvenue l’accueillait toujours avec la même phrase qui enclenchait à chaque fois la même discussion :
- Alors, il t’a rendu ton argent ?
- Non, pas encore.
- Tu le lui as réclamé ?
- Non.
- Qu’est-ce que tu attends ?
- Je ne veux pas le mettre dans la gêne.
- Pourtant lui, il ne se gêne pas pour se moquer de toi. Il te prend pour un idiot.
Au début du mois d’avril 2009, estimant qu’il avait suffisamment attendu, Mahmoud se rendit chez Djelloul et lui réclama son argent.
- Oh ! Mon frère, Mahmoud…Vraiment, je ne sais pas quoi faire... je suis vraiment confus, je me sens vile et lâche. Je ne peux pas te rendre ton argent maintenant. Attends encore deux ou trois jours.
Une semaine plus tard, Mahmoud retourna chez son voisin et celui-ci lui répondit :
- J’ai de l’argent qui doit rentrer. Je te rendrai tes 5.000 DA après-demain…
- Après demain ?
- Oui, après demain, c’est sûr. Vers 19h…Tu me trouveras au bas de l’immeuble où j’habite.
Le surlendemain, Mahmoud trouva Djelloul l’attendant à l’endroit qu’il lui avait indiqué.
- Ah ! Tu es venu, Mahmoud… Nous allons chez quelqu’un qui va me donner de l’argent et je te rendrai tes 5.000 DA.
- C’est loin d’ici ?
- Non… à cinq minutes à peine.
Les deux hommes s’éloignèrent des immeubles et dès qu’ils furent arrivés à un endroit relativement désert, Djelloul se mit à crier Allahou Akbar ! Allahou Akbar !
Mahmoud était à se demander ce qui se passait lorsqu’il le vit sortir un couteau. Avant même qu’il ne réalise la gravité de la situation, il reçut plusieurs coups mortels. Mahmoud tomba et le meurtrier au lieu de s’enfuir, s’agenouilla pour s’assurer qu’il est bien mort. Puis, il s’en alla en jetant le couteau au milieu des buissons comme si de rien n’était, avec un sang-froid incroyable.
Djelloul, cependant, avait été vu par plusieurs habitants de Bachdjerah en train de commettre son abominable crime. Des habitants qui n’ont pas hésité à témoigner contre lui.
Le comportement de Djelloul était si incongru et si inhabituel qu’il avait fait l’objet d’une expertise psychiatrique. Les médecins ont été catégoriques : il était en pleine possession de toutes ses facultés mentales au moment de son meurtre.
La Cour d’Alger a prononcé contre Djelloul, il y a quelques jours, soit après plus de deux ans de procédures judicaires, la peine capitale.
Alors si quelqu’un vous demande de lui prêter de l’argent, faites gaffe !

Par : Kamel Aziouali

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