Le Midi Libre - entretien - Folie passagère
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Edition du 4 Octobre 2011



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Vol à la tire
Folie passagère
4 Octobre 2011

Dans deux mois, Zoubir se marierait. Ses amis qui lui avaient dit que ce serait là un saut dans l’inconnu n’avaient pas eu tort. Et pour cause !

Toutes les économies de Zoubir s’étaient envolées et il n’avait pas encore payé la salle des fêtes. Il avait juste versé des arrhes. Et il était tenu de confirmer la réservation quinze jours avant la cérémonie, faute de quoi sa réservation serait considérée comme annulée et ses arrhes perdus à jamais. Où allait-il trouver les cinq millions de centimes nécessaires pour la location de cette maudite salle ? Une année et demie plus tôt, il avait 50 millions de centimes dans son compte mais il avait tout perdu en satisfaisant toutes les exigences de sa future belle- famille. Il ne restait plus à qu’à espérer que son employeur lui octroie une avance de trois mois de salaire. Cela réglerait une partie du problème parce que par la suite, les premières semaines de sa vie conjugale, il les passerait sans le sou. Et s’il annulait tout ? se dit-il en tremblant. Ce serait la fin de son calvaire et de son stress mais ce ne serait pas une bonne solution. Il aurait donc perdu ses économies pour rien ?
Alors qu’il errait dans la ville de Boumerdès, il passa devant une banque. Il s’arrêta tout près d’elle, sans trop savoir pourquoi. Des gens y entraient et en sortaient. Il scruta leurs visages et il les envia parce qu’il était convaincu qu’aucun d’entre eux n’avait les problèmes qu’il endurait et qui lui donnaient des envies suicidaires. Soudain, il vit une scène qui lui donna des frissons. Un homme était sorti de la banque avec un gros sachet en plastique noir. Il monta dans sa voiture puis en redescendit aussitôt pour retourner à la banque où il avait dû oublier quelque chose. Tout le corps de Zoubir s’était mis à vibrer parce que son esprit tourmenté avait remarqué un détail de la plus haute importance : l’homme était monté dans sa voiture avec un sachet et en retournant à la banque, il ne l’avait plus ! Ce qui signifiait qu’il l’avait laissé dans la voiture… Et il n’avait pas besoin de sortir de l’Ecole nationale d’administration pour deviner que le sachet contenait de l’argent… Il devait y avoir au moins un milliard, se dit-il. Il serra les dents comme pour les empêcher de trembler et se dit que c’était la chance de sa vie. Il regarda autour de lui et vit une sorte de pavé gris ayant la taille d’une brique… Sa jubilation s’accentua encore. Il se dit que c’était le destin qui lui venait en aide. S’il n’en profitait pas, il le regretterait toute sa vie… Il regarda l’entrée de la banque et se dit qu’il fallait faire très vite, avant que le propriétaire de la voiture et du sachet ne ressorte. Il entra dans une sorte de transe, se saisit du pavé, s’approcha de la voiture pour repérer l’endroit où était déposé le sachet et il brisa la vitre avant de la voiture. L’alarme se déclencha. Zoubir sursauta mais poursuivit son «travail». Il entra sa main droite dans la voiture se saisit du sachet au moment où le propriétaire sortait de la banque. Il se mit à hurler : «Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! Il m’a volé !»
Toujours dans un état second, Zoubir s’était mis à courir tout en se disant qu’il s’agissait d’un simple cauchemar qui prendrait fin dès qu’il se serait réveillé. Mais le cauchemar ne prenait pas fin et il continuait de courir. Mais Zoubir n’avait plus les jambes de ses vingt ans et la cigarette avait dû causer beaucoup de dégâts à ses poumons. Ses poursuivants gagnaient du terrain. Dès qu’il sut qu’ils allaient le rattraper, il jeta le sachet dans un coin tout en continuant à courir. Quand des mains s’étaient saisies de lui, il se mit à crier : «Hé ! Qu’est-ce qui vous prend ? Je ne suis pas votre voleur ! Je ne faisais que courir derrière lui, comme vous !» Mais la ruse ne fonctionna pas comme il l’espérait. Le propriétaire récupéra son sachet et le pauvre Zoubir fut confié à trois agents de police qui avaient fini par se joindre à l’attroupement. Zoubir réalisa tardivement qu’en voulant régler son gros problème d’argent, il n’avait fait que l’aggraver et le compliquer plus que de raison. Il continua néanmoins à nier être le voleur. Mais il ne faisait que dépenser de l’énergie pour rien, parce que les caméras, très discrètes de la banque, avaient tout filmé... Avaient tout vu. Et au tribunal de Boumerdès où il s’était retrouvé mercredi dernier, il lui fut rappelé que c’était bien lui que les caméras avaient filmé lorsqu’il avait cassé une vitre de la voiture pour prendre les cinq cents millions que contenait le sachet noir et qui représentaient les salaires des employés de la victime.
Zoubir s’accrocha du mieux qu’il pouvait en assurant qu’il devait y avoir entre lui et le voleur une grande ressemblance parce que, lui, il n’avait rien d’autre en tête que son mariage qui devait avoir lieu dans les tout prochains jours. Pour mieux convaincre le juge, il exhiba quelques cartes d’invitation : «Vous voyez ? A cause de cette méprise, je n’ai même pas envoyé les invitations aux gens !»
Finalement, 7 ans de prison ferme furent requis contre lui ainsi qu’une amende de 5 millions de centimes. Ironie du sort : c’était la somme qui lui manquait pour louer la salle des fêtes et voilà qu’il allait devoir la dépenser en payant les conséquences d’une folie passagère.

Par : Kamel AZIOUALI

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