La 16e édition du Salon international du livre d’Alger s’est caractérisée par la participation d’environ 500 éditeurs nationaux et internationaux. Parmi cette forte participation, la maison d’édition Apic se distingue d’abord au premier regard par l’aménagement de son stand puis par la publication de quelques ouvrages portant essentiellement sur le continent le plus vieux, l’Afrique en l’occurrence. C’est dans ce sillage que Samia Zennadi revient sur les principes fondamentaux de sa maison d’édition Apic, dirigée aux côtés de Karim Cheikh, et l’objectif de celle-ci est non pas seulement d’être parmi le paysage éditorial du livre mais d’apporter à la littérature en général et à la littérature africaine en particulier un soutien de plus pour sa promotion.
Midi libre : Comment expliquez-vous la distinction de votre maison d’édition dans ce paysage littéraire et votre intérêt pour la promotion de l’africanité ?
Samia Zennadi : Il était temps que nous donnions à la littérature africaine toute sa place. Les éditions Apic ont vu le jour en 2003. Cela fera près de dix ans que nous luttons pour l’émergence de ce patrimoine d’abord en Algérie, puis en Afrique et, enfin, à travers les autres pays du continent.
Pour ce faire, nous proposons la collection Résonance qui regroupe les écrivains africains de toute l’Afrique depuis 2007. Nous avons à ce jour quatorze titres dans cette collection. C’est une manière aussi d’atttirer les lecteurs et les visiteurs vers cette littérature qui englobe une richesse et un patrimoine inégalables. Il est malheureusement à constater que nous n’avons pas une grande visibilité dans la presse nationale, alors que nous avons édité des auteurs qui ont été primés et qui sont les fondateurs de la littérature africaine comme Yambo Ouologuem. Alors qu’à ce jour, il n’y a aucune ligne sur son livre : Le devoir de violence, aucune note de lecture, aucune analyse alors que la presse est le premier intermédiaire entre l’éditeur et les lecteurs. D’autres livres ont été édités chez nous comme Tierno Monénembo, Sami tchad ou encore Luis Philippe Dalembert, l’haïtien qui bousculer les traditions de l’écriture qui caractérisait l’auteur africain. C’est pour cela que nous avons aménagé notre stand aux couleurs de l’Afrique et de la littérature qui laa caractérise. C’est vrai également que cela attire le regard et que cela pousse les gens en premier lieu à faire une halte à notre stand. C’est encouragent car cela les poussent par la suite a découvrir une littérature et à en redemander par la suite. Effectivement du premier contact, un échange se crée entre nous et les visiteurs. Il est vrai que cet intérêt pour le public existe depuis deux ans, peut-être grâce au Panaf, ou peut-être pas. C’est une curiosité encourageante de la part du public algérien qui s’intéresse de plus en plus à la littérature africaine et de savoir comment écrivent les auteurs du même continent et quels sont les écrivains que nous éditons.
Pour cette 16e édition du Sila, à la veille de la clôture de la manifestation, quels sont justement les livres qui ont plus de succès auprès des visiteurs ?
Je dirai sans conteste pour la littérature africaine c’est Luis Philipe Dalembert pour son livre «L’autre face de la mer» que nous avons édité dans la collection Résonance et qui a eu un regain d’intérêt exceptionnel de nos visiteurs. Sinon dans l’autre collection Dissonance, nous avons le dernier livre de Samir Amin avec son.. Edward Said avec «Culture et impérialisme», des livres qui intéressent les lecteurs algériens.
Y a-t-il des écrivains africains que l’édition Apic a ou voudrais publier, soit parce que ces écrivains n’ont pas les moyens de le faire dans leur pays, soit pour cause de censure ?
Oui. Justement, la problématique de l’édition en Afrique est que les auteurs africains en général éditent en dehors du continent pour X raisons. D’abord à cause de la censure (et la plupart subissent cette censure dans leur pays), ou bien également il n’ y pas de maisons d’édition, ou il existe des maisons d’éditions mais avec très peu de moyens et ne peuvent en conséquence éditer des livres. Et nous dans la collection Résonance, nous essayons d’apporter notre aide à l’instar de la publication du livre de Yambo Ouologuem. D’ailleurs, il faudrait préciser que son livre a été censuré en France durant trente ans à cause d’une histoire montée de toutes pièces : celle du plagia. C’est terrible ce qu’à subit cet écrivain. Il a été par la suite édité chez un autre éditeur français et c’est comme cela que nous avions pu avoir des droits de le rééditer. Ce fut pour nous un forcing car ce n’est pas toujours facile pour nous d’avoir les droits de la réédition. Il est à préciser également que les auteurs qu’on édite ne sont pas liés à leur succès. Mais des auteurs à succès par leur texte et par la richesse de leurs écritures. Alors les éditeurs français ou anglais ne voient pas en nous des concurrents, ils arrivent à nous céderde la sorte des droits. Notre richesse réside également à travers nos contacts. Nous connaissons les auteurs qui suivent avec nous la procédure de la cession des droits. Lorsque nous voyons que l’éditeur ne nous a pas répondu, on met au courant l’auteur on lui disant : «Eh bien mon ami, je ne sais pas ce qui se passe mais apparemment ton éditeur est débordé est-ce que tu peux voir pourquoi il nous a pas répondu ». Il y a ainsi une approche avec les éditeurs mais cette chance que nous avons, celle d’avoir un réseau d’auteurs qui voient notre démarche qui consiste à proposer aux lecteurs algériens des textes de leur continent. Pour eux, la sortie du livre chez nous sert également à ces écrivains d’être en Algérie et d’avoir un lien avec nous. Ils viennent pour la première fois chez nous et ils ont la chance de rencontrer les lecteurs algériens, des journalistes. Ce lien est important car pour eux c’est comme un retour, comme dirait Césaire «un retour au pays natal».
Est-ce que vous participez justement à des manifestations portant sur le livre en Afrique pour renforcer ce lien et pour promouvoir la littérature
africaine ?
Oui, depuis 2008 nous assistons à la rentrée littéraire du Mali. En 2008, nous avons reçu avec le roman de Susanne el Far el Kenz le prix Continental Yambo Ouologuem. La première fois nous sommes partis par curiosité, par envie d’encourager un ami de la maison d’Edition Tambauctou. Nous étions présents pour apporter notre aide à l’organisation et pour dire aussi que nous sommes là et pour contribuer à la rentrée littéraire du Mali. Pour Février 2012, je suis impliqués dans l’organisation de la rentrée littéraire au Mali. Et je dirai qu’à force d’y aller, il y a un espace Maghreb qui a été créé à l’occasion dans cette rentrée. Nous allons justement faire connaître la littérature maghrébine. Car à part les membres fondateurs de cette littérature comme Kateb Yacine qui est enseigné a l’université au Mali, les autres écrivains, ceux de cette génération, ceux de la génération de Boudjedra ne sont malheureusement pas connus. Un moment donné, il y a eu rupture, alors nous, non pas à travers des discours mais avec des actions concrètes on essaye de remédier à cela. Car l’Afrique est maintenant usée, elle a eu tellement de promesses non tenues. 2009 a été un peu un retour, on a repris l’angle avec le Continent. Mais il faut accompagner cet élan maintenant d’autant plus qu’il y a eu beaucoup d’écrivains à cette occasion qui ont notamment animé des ateliers d’écritures, etc, et là je parle seulement de la littérature car il ne faudrait pas oublier l’art chorographique, le cinéma, le théâtre, la peinture et autres arts. Ces artistes répondent présents lorsque l’Algérie les invite. Ils s’arrangent pour venir car il y a quand même un souffle panafricain qu’il faudrait préserver enrichir. Il ne faudrait surtout pas le laisser s’essouffler.
Croyez-vous que l’université algérienne a sa part de responsabilité dans cette perte de lien entre les écrivains africains ?
J’ai su qu’ils avaient maintenu la littérature africaine d’expression anglaise mais on ce qui concerne les autres filières littéraires, je ne sais pas. Peut-être qu’ils reproduisent un schéma d’aliénation. C’est véritablement aberrant. Mais il est nécessaire d’y remédier. Mais moi je dirai qu’on dehors de ces études universitaire qui dissèquent le texte avec des formules très barbares, il y a également une manière de créer la demande. C’est-à-dire que les lecteurs créent la demande. Je ne dis pas qu’il faudrait militer pour la littérature africaine mais qu’il ait au moins un intérêt. Puis à partir de ça, les lecteurs vont dans les librairies et demandent auprès des auteurs qui les intéressent surtout à cette époque avec Internet à travers lequel on peut facilement s’informer sur les derniers ouvrages parus. Vous allez vous rendre compte par exemple que quelques prix français ont été attribués à des auteurs africains comme Tierno Monénembo.
Il y a une certaine reconnaissance pour l’auteur du continent africain. Reste que malheureusement nous ne les voyons pas passer sur leurs chaînes de télévision et à travers les médias.
Ne croyez-vous pas que ces prix sont seulement attribués pour la promotion de la francophonie et non pas pour celle de la littérature et des écrivains africains ?
Oui, effectivement. Puis les auteurs avec lesquels on a des liens plus qu’un rapport d’auteurs éditeurs souhaitent voir un jour une plateforme littéraire. L’Algérie peut être un centre littéraire, on y croit tous. Ces écrivains sont prêts à se faire éditer à partir de l’Algérie. Puis, ces auteurs vous parlent de l’envie de ne pas se voir cataloguer dans le noir cette littérature. Car les éditeurs ont des collections «Noir» ou autres. Ils ont envi d’être considérés comme des écrivains du Continent, peut importe du Maghreb, du Subsaharien, ou de l’Afrique noire. C’est à nous de briser cette séparation.
L’intérêt des Occidentaux n’est-il pas seulement une mode de l’exotisme envers cette littérature ?
Je pense que cela va plus loin qu’un intérêt exotique. Je pense qu’il y a des pays que la culture et les textes peuvent faire plus que les soldats et les cannons. Edward Said en parle très bien dans «Culture et impérialisme » en expliquant comment les idées primordiales pour la conquête de l’imaginaire et pour justement arriver à la domination. Alors ça va au-delà de l’exotisme, ce sont des structures très bien organisées. Il ont compris que la culture ce n’est pas du olé olé. C’est une politique à long terme, qu’est-ce qu’on veut, qu’est-ce qu’on souhaite. C’est tout à fait normal, ils défendent leur position qui est celle de la banque d’idée. C’est Comme dans Casanova dans son ouvrage «La République des livres», il parle de Paris, de New York, Barcelone, de Londres et qui fonctionnent comme des banques et ce sont eux qui donnent le label. Dès que les critiques de l’autre côté nous le vendent comme un produit fiable, on met la ceinture et on démarre.
Quel est le rapport qu’a l’édition Apic avec les autres langues africaines ?
Je pense que cela est un problème propre à chaque pays africain dans leur politique et sur quoi elle a opté. Reste que si l’Algérie a une politique africaine et panafricaine, nous aurons entièrement notre place. Il suffit seulement de dire on le fait ou on ne le fait pas. Maintenant quand est-ce qu’on va le faire. On peut accompagner des étireurs locaux, des éditeurs au Mali qui va écrire en Bambarin mais avec le soutien du ministère ou de l’AARC ou d’une autre institution. Mais il faudrait trouvé des mécanismes qui nous permettent de nous propager et de diffuser l’Afrique en Afrique. Car cela nous permettra de récupérer cette richesse car s’efface peu à peu.
Ce n’est pas lié à une situation politico-économique ?
Oui, c’est très lié à une situation politico-économique. Mais on est fatigué de ce discours qui dit qu’il fallait séparer la culture de la littérature, et la culture de la politique. Alors utilisant cette approche pour faire de la culture. C’est important de faire de la culture politiquement. Puis il faudra qu’on se réunisse, qu’on discute et qu’on trouve des solutions à nos problèmes pour nos besoins. Il faudrait arrêter de se comparer à des Centres ou de dire par exemple que moi j’en ai que vingt titres, ou vingt romans et que je ne peux pas parler de rentrée littéraire, et je n’ai pas de revue, etc. Vous voyez bien les écrivains qui sont venus, ce n’est pas pour dire qu’il faudrait rester en bas.
Ce n’est pas en bas c’est mon niveau à moi. Pourquoi voudriez-vous que je me compare à un éditeur français qui a toute une politique, qui a des moyens énormes, qui a les moyens d’être diffusé dans plusieurs télévisions, plusieurs radios. Alors que faut-il faire ? Eh bien c’est de travailler avec nos moyens. Pourquoi ne pas faire un salon du livre du Continent ?