Un colloque abordant le thème "Pierre Bourdieu et l’Algérie: fond commun, zone amazighophone et migration" est ouvert lundi à Oran, à l’initiative du Haut commissariat à l’amazighité (HCA) en partenariat avec le centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC).
Cette rencontre ambitionne de mettre en exergue la place qu’occupe l’Algérie dans l’œuvre du sociologue français et l’influence de ses investigations et de ses observations sur le terrain, notamment en Kabylie, qui ont permis plus tard de construire une théorie sociologique à vocation universelle.
Pierre Bourdieu, comme il a été souligné dans les interventions introductives de Youcef Merahi, secrétaire général du HCA, et de Mme Nouria Benguebrit-Remaoun, directrice du CRASC basé à Oran, a été un intellectuel engagé en faveur des peuples dominés.
Son séjour en Algérie, peu de temps après le déclenchement de la lutte de libération nationale, suite à sa mobilisation sous les drapeaux puis au poste d’assistant qu’il avait assuré à l’université d’Alger, lui a permis de découvrir le véritable visage de la colonisation et de la situation désastreuse des populations locales, loin des clichés et stéréotypes idylliques orientalistes dominants de l’époque.
"Ces années algériennes ont permis à Bourdieu de découvrir les réalités de ce pays colonisé et dénoncer le système colonial bâti sur l’expropriation, l’injustice, la paupérisation des populations locales, la précarité de leur situation, la misère et bien d’autres maux", a souligné la directrice du CRASC, rappelant que Bourdieu a écrit cinq ouvrages dédiés à l’Algérie, avec comme champ d’investigation principal, la Kabylie. M. Merahi a, pour sa part, rappelé que le sociologue français, à travers ses études, "a donné une autre image de l’Algérie de l’époque, rompant avec les travaux à tradition orientaliste".
Expliquant l’attachement particulier qu’avait le sociologue à l’Algérie et la place qu’elle occupait dans ses premières études, le SG du HCA citera Pierre Bourdieu lui-même.
Bourdieu disait "mon choix d’étudier la société algérienne est né d’une impulsion civique plus que politique. Je pense, en effet, que les Français à l’époque, qu’ils soient pour ou contre l’indépendance de l’Algérie avaient pour point commun de très mal connaître ce pays. Il était donc important de fournir les éléments d’un jugement, d’une compréhension adéquate, non seulement aux Français mais aux Algériens instruits qui, pour des raisons historiques, ignoraient souvent leur propre société".
L’apport et la valeur scientifique des travaux de Pierre Bourdieu ont été soulignés par le professeur Mustapha Haddab de l’université d’Alger, qui a estimé que "le sociologue français a fait éclater les cloisonnements en vigueur à l’époque entre la sociologie, l’ethnologie et l’anthropologie". "Les textes de Bourdieu se sont traduits par des démarches épistémologiques et méthodologiques dans les sciences sociales. Il a fourni des instruments d’études allant dans le sens contraire des visions rigides et dogmatiques", a-t-il indiqué en soulignant que la démarche de Bourdieu "dépassait la simple accumulation des connaissances et visait à être un point de départ d’une démarche et d’une réflexion nouvelle sur les réalités sociales".
Ce colloque se poursuivra jusqu’à mardi avec au menu un riche programme de communications d’universitaires algériens et de France, qui traitent de réflexions autour de certains ouvrages de Bourdieu dont "Sociologie de l’Algérie" et "Le déracinement" ainsi que de thématiques chères au sociologue français comme la migration, les stratégies matrimoniales en Kabylie, les villages kabyles.
Pierre Bourdieu (1930-2002) est considéré comme l’un des maîtres de la sociologie contemporaine. Son œuvre est dominée par une analyse des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales. Il met en évidence l’importance des facteurs culturels (persistance des comportements acquis au sein du milieu d’origine) et symboliques dans les actes de la vie sociale.