Nous avons une capacité psychologique limitée à faire des choix et prendre des décisions, explique le New York Times magazine dans une grande enquête intitulée «Decision fatigue» (Fatigué de décider).
Elle révèle un aspect méconnu du cerveau humain qui explique comment un chef de gouvernement, un dirigeant d’entreprise, un général mais aussi nous tous dans notre vie quotidienne prenons parfois des décisions totalement aberrantes ou sommes tout simplement incapables d’en prendre une.
Le New York Times cite de nombreux exemples parmi lesquels celui d’un juge qui est systématiquement plus compréhensif et plus à l’écoute le matin qu’en fin de journée et ne rend pas les mêmes verdicts face aux mêmes cas sans en avoir conscience.
Peu importe, que vous cherchiez à être extrêmement rationnel et juste, vous ne pouvez prendre des décisions les unes après les autres sans en payer le prix biologique. C’est différent de la fatique physique ordinaire, puisque vous n’avez pas conscience de votre fatigue, mais vous êtes à un niveau faible d’énergie mentale.
Plus vous faites de choix dans la journée, plus cela devient difficile pour votre cerveau, qui cherche à réduire sa fatigue de deux façons très différentes. La première est de prendre des risques, d’agir de façon impulsive sans dépenser de l’énergie pour étudier les différentes possibilités et leurs conséquences.
La deuxième stratégie est tout simplement de ne plus prendre de décisions, de gagner du temps. La plupart du temps, ne pas décider finit par créer des problèmes encore plus grands, mais sur le moment cela enlève de la pression.
Epuisement de l’égo
La fatigue provenant de la prise de décision est la plus récente découverte liée à un phénomène baptisé «ego depletion» (épuisement de l’égo) par Roy F. Baumeister, professeur de psychologie de l’Université de Floride. Les expériences qu’il a menées montrent qu’il existe, conformément aux hypothèses de Freud, une quantité limitée d’énergie mentale nous permettant de nous contrôler. La volonté n’est pas seulement une image. C’est une forme d’énergie mentale qui peut être épuisée, comme un muscle qui s’use.
Dans un test de volonté consistant à laisser une main dans de l’eau glacée le plus longtemps possible, les chercheurs se sont rendus compte que les «décideurs» tenaient systématiquement moins longtemps que les autres. Prendre des décisions avait apparemment diminué leur volonté (et ce n’est pas la seule expérience à arriver à des conclusions similaires).
Le processus de prise de décision réduit donc l’énergie mentale et la volonté, mais quelle est la phase la plus épuisante de ce processus ? Après de nombreuses expériences, les scientifiques ont retenu la dernière étape, franchir le Rubicon, c’est-à-dire trancher irrévocablement et renoncer de fait aux autres options.
Comme l’explique l’article du New York Times magazine, le mot «decide» en anglais et décider en français ont la même racine étymologique que le mot homicide (qui est le même en anglais et en français). Et ce mot homicide vient du latin «caedere» qui signifie trancher et tuer.
Nous n’avons aucun moyen de savoir si nos ancêtres souffraient également de cette usure psychologique liée à la prise de décision. Mais il semble vraisemblable que le processus d’épuisement de l’ego était moins important. Quand vous avez moins de décisions à prendre, votre cerveau s’épuise moins vite.
La caractéristique de la société moderne est justement de nous contraindre en permanence à faire des choix. Les grandes comme les petites décisions. Elles s’ajoutent et sapent notre énergie mentale et notre volonté.
Roy Baumeister explique ainsi :
«Prendre des bonnes décisions n’est pas la caractéristique d’une personne en ce sens que c’est toujours là. C’est une capacité qui fluctue. Même les personnes les plus sages ne font pas les bons choix si elles ne sont pas reposées… Les meilleurs décideurs sont ceux qui savent quand ils ne doivent plus se faire confiance.»