La Kabylie recèle des hommes et des femmes d’un don inestimable. Natifs des villages perchés sur les hautes montagnes, la rudesse de la vie leur a appris à se débrouiller, mais également à rendre le paysage magnifique sur des tons poétiques et mélodieux. Les muses sont là, accompagnant ces artistes même au delà de ces monts et a fait d’eux des artistes complets à l’instar du défunt Cheikh Nordine.
Rares sont les personnes qui ne connaissent pas Cheikh Nordine, ce père fondateur de la Radio kabyle (aujourd’hui Chaîne II). Sa vie a été empreinte des diverses couleurs des arts. Il a été pendant plus d’un demi-siècle au carrefour de la chanson satirique, du théâtre radiophonique, de nombreuses émissions et du cinéma algérien.
C’est grace à des hommes et à des femmes comme lui, que notre culture berbère a pu survivre devant tant d’années de marginalisation et d’interdit. Il est l’image même de cet homme amazigh qui a voué sa vie à la sauvegarde de son patrimoine. Il mérite aujourd’hui le plus grand hommage pour que lui aussi ne tombe pas dans l’oubli et pour que son travail aussi ne tombe pas dans la médiocrité.
Dans la sphère culturelle, les gens qui l’avaient côtoyé convergent vers les mêmes propos : se fut un homme d’une générosité débordante, d’une modestie surprenante et d’une pédagogie certaine car il aimait transmettre les valeurs ancestrales aux générations montantes. Heureux celles et ceux qui l’ont connu.
Meziane Nourredine (dit Cheikh Nordine) est né le 8 novembre 1918 à Aguemoun, commune de L.N.I, wilaya de Tizi-Ouzou. Il tenait une échoppe au square Bresson (Port Saïd) où, tout en travaillant, il fredonnait des airs du terroir. S’étant fait remarquer le 4 septembre 1938, à grands renforts de tambourineurs, M. Finkel, directeur de la maison de disques Pathé Marconi, vint lui rendre visite. Il enregistra ses premières chansons : Allô Triciti, (reprise par Med Allaoua) , Anfiyi ad rugh, etc. Cheikh Nordine enregistra plus de 500 chansons, dont plus de 96 en duo avec feu Slimane Azem. Il fut le créateur de la Radio kabyle (Chaîne II) située à l’époque à la rue Berthezene (Dr Saâdane), ayant diffusé pour la première fois dans l’histoire de la Radio kabyle les voix féminines de La Zina, La Yamina, La Ounissa, Chérifa, El-Djidda, H’nifa, Ourida et autres.
Doté d’un don poétique et d’un génie musical, il crée le premier orchestre populaire kabyle avec Cheikh Arab Ou Yakoub et les célèbres musiciens Cheikh Namous, Sid Ali Ahmed Medjdoul, Hadj Menouar ; formation qui a permis à plusieurs chanteurs, tels que Youcef Abdjaoui, Kamal Hamadi, Mohand Rachid, Meziane Rachid, d’affirmer leurs dons et d’enrichir, par leurs enregistrements en studio, la discothèque de la Chaîne II.
"Féru" de culture châabie, il compose et écrit le texte du tube de l’époque sur le Mouloudia club d’Alger (MCA), interprété par le regretté Hadj M’rizek. Durant plusieurs années, il a écrit et joué le rôle de la vieille dans les pièces théâtrales avec Mohamed et Saïd Hilmi, Ali Abdoun (décédé), Saïd Zanoun, Ahmed Aïmane, Amar Ouyakoub (décédé), et beaucoup d’autres comédiens. Il a produit de nombreuses émissions radiophoniques, notamment la célèbre Khalti Aâdouda, et créé l’émission «Les chanteurs de demain» en 1956.
Il a côtoyé les grandes vedettes de l’époque – El-Anka, Mokrane Agawa, Cheikh Sadek Abdjaoui (décédé)….
Il a animé durant une grande période la formation appelée La Mohamadia, chants religieux kabyles.
Durant l’année 1972, il monte à Paris et collabore avec Slimane Azem. Il enregistre en duo plusieurs chansons à thèmes satiriques et de critiques sociales. Cette rencontre avec Slimane Azem lui a valu d’être systématiquement rayé en 1981 de la liste des médaillés pour services rendus à la culture algérienne. Avec Rouiched et Hassan El-Hassani, Cheikh Nordine était l’un des acteurs fétiches de Lakhdar Hamina, notamment. Il a joué dans Les hors la loi de Farès Tawfik (1968), La patrouille de l’Est de Amar Laskri (1970) Chronique des années de braises de Lakhdar Hamina (palme d’or au festival de Cannes en 1975), Chebka de Bendedouche (1977), La dernière image de Hamina (1979), Chant d’automne de Yala Meziane (1982), Elise ou la vraie vie de Michel Drach avec l’actrice Marie-José Nat (1982), Les chevaux de soleil tourné en Espagne avec la regrettée H’nifa et relatant la vie d’El Mokrani (non projeté à ce jour en Algérie), Tahya ya Didou de Zinet (les enfants de Novembre).
Différents hommages ont été rendus à cet artiste en 1994 à la Maison de Jeunes de Larbaâ Nath Irathen, par l’AAJ de cette ville, le 13 mai 1999, Maison de la Culture Mouloud-Mammeri de T.O du 16 au 18 août 2000. Au Centre cuturel Ahcène-Mezani à Larbaâ Nath Irathen par l’association culturelle Tafaska n’Si M’hend ou M’hend. Cheikh Noredine est décédé le 16 août 1999. Il a été inhumé au cimetière de Bir Mourad Raïs (Alger).
Youcef Nacib avait publié un ouvrage de 883 pages, aux éditions El Ouns (Paris) comme un grand hommage au grand artiste –comédien-poète chanteur et acteur de cinéma.