Résumé : Dans un autocar sur la ligne Boumerdès-Alger, Saléha, une fonctionnaire de 35 ans, fait la connaissance d’un octogénaire qui se disait exorciste et capable d’aider les jeunes filles à se marier.
Saléha sourit et répondit :
- Moi, Dieu merci, je n’ai aucun problème… mais je connais deux personnes qui ont besoin d’aide. Il s’agit d’une amie qui travaille avec moi et de sa jeune sœur. Elles sont âgées de 38 et 30 ans. Elles sont belles, intelligentes, bien éduquées …
- …Mais elles n’ont pas de chance, ma fille ? C’est cela, hein ?
- Oui.
- C’est normal. Elles ont été ciblées par des gens malintentionnés. Les vertueux sont souvent victimes des agissements diaboliques des jaloux et des haineux.
- Il y a un espoir qu’elles guérissent ?
- Je ne sais pas… Il faut que je les voie d’abord. Ce n’est qu’en discutant avec elles que j’aurais une idée de la nature du sortilège qui les a visées. Mais il va falloir faire vite, ma fille, parce que je retourne à Boussaâda la semaine prochaine.
- Donnez-moi votre numéro de téléphone et je vous appellerai… Il faut d’abord que j’en parle à ma collègue.
Le vieil homme sortit de quelque part, derrière sa gandoura blanche, un petit bout de papier sur lequel il y avait trois numéros de téléphone.
- Oh ! El hadj ! Vous avez trois puces !
- Oui… Pour être sûr d’être joint.
- Et vous pouvez vous déplacer si je vous demande par exemple de venir à Alger-Centre ?
- Mais bien sûr. Je vais là où le mal réside.
Dès que Saléha fut arrivée à Alger, elle se rendit chez son amie Hadjira. Elle avait l’habitude de lui rendre visite mais elle l’avertissait deux à trois jours par avance. Jamais elle n’avait débarqué chez elle à l’improviste comme ce jour-là.
Après avoir entendu son amie, Hadjira se mit à jubiler.
- Et tu dis qu’il est de Boussaâda, Saléha ?
- Oui…
- On m’a dit que les gens de Boussaâda étaient forts en matière de s’hour et de désenvoutement, Saléha.
- C’est ce que j’ai entendu aussi… Rappelle-toi, Nacéra, notre ancienne collègue…
- Oui… Plus moche qu’elle tu meurs et tu as vu l’homme qu’elle a épousé ! On dirait un acteur italien. Je lui ai demandé plusieurs fois de me révéler son secret mais elle n’a pas voulu. C’est une de ses voisines qui m’a dit que six mois avant son mariage, elle s’est rendue plusieurs fois à Boussaâda.
- C’est peut-être là qu’elle a connu son mari...
- Non. Son mari est d’Alger. Elle s’est rendue à Boussaâda pour trouver le moyen de mettre un terme au mauvais sort qui la suit depuis des années ! Euh… d’ailleurs, je ne te cache pas que cela fait quelque temps que trotte dans ma tête l’idée de m’y rendre. J’ai vu plusieurs exorcistes à Alger, aussi bien des hommes que des femmes et cela n’a rien donné. Ils m’ont conseillé de me rendre au Maroc, mais d’autres m’ont dit qu’il était inutile de partir au Maroc vu que les Bouassaâdis étaient plus forts que les Marocains ! Et voilà que Boussaâda vient à moi par le biais de ce raqi !
- El-hamdoullah ! Tu sais, Hadjira j’ai hésité à t’en parler parce que j’avais peur que tu le prennes mal…
- Mais pas du tout ! Je te remercie du fond du cœur… Si ma sœur et moi parvenons à vaincre le mauvais sort qui nous pourchasse, je t’offrirai un cadeau fabuleux.
- Non, Hadjira, je n’ai besoin que d’une chose : que ma collègue dont le bureau se trouve en face du mien sourit plus souvent !
Le lendemain le vieux raqi de Boussaâda se rendit chez Hadjira. Il fut accueilli par les parents de la jeune fille, par sa sœur cadette et, bien sûr, Saléha, sans qui cette rencontre n’aurait jamais été possible. Quand le moment de la «consultation» fut arrivé, le vieil homme se retrouva seul face aux deux sœurs. Il tint la main de Hadjira un bon moment, puis celle de sa sœur cadette et il se mit soudain à… pleurer à chaudes larmes. Les deux jeunes filles s’affolèrent à tel point qu’aucune d’elles ne put lui demander les raisons de son émotion. Le vieil homme finit par essuyer ses larmes et donna des explications :
- Je n’ai pas pu retenir mes larmes parce que mon choc était énorme… Comment peut-on oser faire à deux jeunes filles comme vous, ce qui vous a été fait ?
- Qu’est-ce qui nous a été fait ? s’enquit Hadjira d’une voix terrorisée.
- Le pire mal qui puisse exister.
- C’est-à-dire ?
- Oh ! Mon Dieu ! Mais Pourquoi ? Pourquoi, les gens sont-ils méchants à ce point-là ?
- Je ne veux pas savoir ce qui nous a été fait ni qui nous l’a fait… Je veux juste savoir s’il y a une chance que nous nous débarrassions de ce mal ! dit Hadjira.
- Mes filles… je crois que je vais partir…
Le vieil homme se leva et Hadjira se leva à son tour.
- Le mal qui nous a frappées est si grave que cela, ya lhadj ? Au point où tu t’en vas ?
- Chaque mal a son remède y comprit le cancer…
- Et notre mal ?
- Il a un remède mais il est si coûteux que je ne pense pas que vous soyez en mesure de faire face à son prix.
- J’ai de l’argent… Je voulais acheter une voiture mais maintenant s’il y a des chances que notre mal soit vaincu, ma sœur et moi sommes prêtes à te donner cet argent.
- Cela vous coûtera beaucoup d’argent… parce qu’il va falloir d’abord trouver où on a enterré le sortilège.
- Où on a enterré le sortilège ?
- Oui. On a pris une photo de chacune de vous, on les a déchirées et on les a enterrées près d’une tombe. Laquelle ? Allez savoir ! iI y a des millions et des millions de tombes en Algérie ! Et dans cette opération, que Dieu me pardonne, je n’utiliserai pas la roqia. Mais la magie noire… Seule la magie noire et ceux qui nous voient sans que nous les voyions peuvent nous indiquer l’endroit où est enterré le sortilège.
- 50 millions de centimes suffiront ? demanda soudain Hadjira.
- C’est la somme que je demande d’habitude… Dans trois jours je reviendrai avec le sortilège enfermé dans un bout de peau de bouc et nous le détruirions ensemble.
- Le sortilège ? Vous voulez dire ma photo et celle de ma sœur ?
- Oui… Et c’est ensemble que nous détruirons ce sortilège ! Ici même. Il suffira de brûler les photos pour que le sortilège brûle aussi.
Le vieil exorciste prit les 50 millions et s’en alla. Ni les parents des deux sœurs, ni Saléha ne s’étaient opposés à cette faramineuse dépense parce que le vieil homme avait un air si candide, si innocent et si convaincant.
Masi il s’écoula une vingtaine de jours sans que celui-ci ne revienne. Hadjira déposa plainte et elle apprit qu’un vieil homme correspondant au portrait qu’elle avait brossé à la police avait déjà été arrêté. C’était un escroc notoire qui promettait le mariage même aux vieilles femmes de plus de… 60 ans !
Ce faiseur de miracles a été jugé récemment par le tribunal de Bir Mourad Raïs. Il lui a été infligé 5 ans de prison ferme.