Le mot festival aurait pu avoir comme équivalent en berbère
« Tiwizi » et on aurait pu appeler les festivaliers « iwiziwen » comme dans la chanson d’Idir. Ça aurait mieux valu que de créer des néologismes pour soi-disant combler le vide lexical dont souffrirait la langue de Si Mohand-Ou-Mhand. C’est en écoutant Boubekeur Khelfaoui, initiateur du festival de Djoua que ces idées nous viennent à l’esprit.
Après 30 ans passés en Europe, il revient, un tantinet nostalgique pour revendiquer un « retour aux sources » et aux
« valeurs ancestrales ». Au reste, on lève les sourcils face à cet homme qui rappelle par moment Mouloud Feraoun et par moment l’un de ses personnages de sorte qu’on hésite à trancher : est-ce le romancier ou l’être de fiction qui nous parle ? Lui qui a bourlingué dans le showbiz et le marketing des années durant revendique à présent les « valeurs d’antan » et « l’esprit de la djemâa ». Mais la tribu reconstituée de Boubekeur Khelfaoui se redéploie à l’échelle du monde. S’il parle de faire revivre la tradition, celle-ci peut effectivement revenir sous la forme de rituels modernisés mais sans sacrifier au désir de l’ancrer dans le terroir. Cela revient en quelque sorte à revendiquer la modernité des Anciens. Tout a commencé il y a quelques années. Boubekeur décide de faire connaître à son fils de 5 ans, né et y ayant grandi en France, le pays de leurs Ancêtres. Ils partent alors en escapade et pique-niquent sur la montagne de Djoua des Aït Bimoun. La beauté du paysage qui surplombe le golfe de Bejaïa et l’air vivifiant du site qui culmine à 1005 m d’altitude, n’avaient pas suffi pour autant à recréer l’atmosphère d’antan. La mémoire avait retenu des sensations, des attitudes, des couleurs indélébiles et surtout l’impulsion du mouvement. Le village de Djoua était déjà devenu un village mort. Ses habitants l’avaient déserté en 1958 pendant la guerre d’indépendance, l’armée coloniale ayant décrété la région zone interdite. Fui depuis près d’un demi-siècle, Djoua ne laissait voir que des maisons tombées en ruine. La plupart des gens qui y habitaient sont allés s’installer à Bejaïa. L’indépendance venue, ils n’ont pas cherché à revenir soit par embourgeoisement, soit par manque de ressources. C’est agité par ces terribles pensées que Boubekeur Khelfaoui a dû se retrouver embarqué avec son fils dans cette entreprise de redécouverte de soi. « Les mentalités ont changé, j’assistais à un bouleversement qui touchait à l’ordre de la famille, du village, je ne me reconnaissais plus dans tout ça, j’étais complètement bousculé, je ne me retrouvais pas là-dedans. Certaines choses, certaines valeurs qu’on m’avait inculquées ont toutes disparu. J’avais ramené mon fils. L’idée du festival m’est venue car il importait de trouver le chemin par lequel il fallait revenir ici au pays. Je cherchais un retour aux sources, une communion avec mon fils. Il fallait exprimer quelque chose différemment et le dire autrement, le festival en est le prétexte ». En effet Boubekeur Khelfaoui a adossé le festival de Djoua à un projet citoyen visant à développer l’économie de la région via la réhabilitation de la culture locale et des métiers traditionnels. Et qui sait ? le travail de l’homme sur la nature, en un mot la culture a de tout temps révolutionné la civilisation humaine. À cette Kabylie qu’absorbent les villes de l’intérieur, il manque quelque grand ouvrage propre à inverser cette tendance qui dure depuis longtemps. Le défi est d’arriver à contredire cette terrible sentence de Fernand Braudel. « La montagne est bien cela : une fabrique d’hommes à usage d’autrui ». Pour Boubekeur Khelfaoui le fil n’est pas encore cassé, il n’est même pas tendu, il y a des choses qui sont intactes et qu’il faut sauvegarder, j’étais touché par les agressions qu’il ya eu sur certaines valeurs, au sein des cousins et de la famille, aujourd’hui, ils vivent différemment et les valeurs ancestrales sont devenues des cibles d’attaque ». La question qui se pose avoue-t-il est celle-ci : comment recréer l’esprit social, l’esprit traditionnel, l’esprit de la djemâa, alors qu’elle n’existe plus ? » A ses yeux le festival traduit
« une façon de projeter certaines valeurs »
« Pendant des millions d’années, les gens ont vécu avec rien sur cette terre, est-il possible aujourd’hui d’adapter ces espaces à des technologies modernes à l’effet de créer de la richesse, qui puisse servir au développement de ces populations ? Si c’est oui comment il faut faire ? Le festival de Djoua a l’ambition de poser la problématique, il n’a pas du tout la solution, on ose mettre en évidence qu’il y a un problème et qu’il peut y avoir des solutions que nous pouvons partager avec d’autres. On veut démontrer qu’on pouvait créer, attirer l’attention sur un lieu qui était inexistant. Ce qui serait bien, c’est de voir d’autres régions d’Algérie s’inspirer de cette idée, disons que ce festival reste un fond de fraternité ouvert. A partir de la semence, on peut faire germer les graines ».
Par : L. G.