La vie d’Alexandre Soljenitsyne, c’est l’écriture. Les articulations de sa destinée se confondent avec les entrées de sa bibliographie, et l’existence de ses textes a toujours conditionné la sienne propre. Arrêté sur le front, à la veille de la victoire de 1945, pour avoir critiqué Staline dans des lettres à un ami, en prison, au camp, en relégation, Soljenitsyne combattra toute sa vie, le verbe au poing, le mensonge totalitaire. Ecrivain, historien, il est avant tout témoin, à la fois héros et narrateur omniscient de son œuvre.
Une journée d’Ivan Denissovitch et l’Archipel du Goulag, textes majeurs qui l’ont fait sortir de l’ombre en ébranlant le régime soviétique, sont nés de son expérience intime du monde concentrationnaire. Ses romans -le Premier Cercle, le Pavillon des cancéreux-, et nouvelles- la Maison de Matriona - sont absolument autobiographiques. Toute ressemblance avec des personnages et des situations réels est complètement intentionnelle.
Carnets de bagne. Fourni et légendé par Natalia Soljenitsyne, sa veuve, compilé et présenté par Georges Nivat, fin connaisseur de son œuvre, Alexandre Soljenitsyne. Le courage d’écrire illustre cette caractéristique : chez Soljenitsyne, vivre et écrire relève d’un même courage, d’un même impératif, d’une même mission. Biographie en images, l’ouvrage retrace la destinée du mémorialiste du Goulag et prix Nobel de littérature à travers la matérialité de l’écriture. L’album est une moisson inédite de reproductions de manuscrits, manuscrits, lettres, carnets de bagne et de voyage, photos de famille et d’exil, trognons de crayons et lunettes de lecture… Un véritable laboratoire, l’outillage qui a accompagné le prosateur dans son labeur quotidien, les coulisses de son œuvre. Composé à partir d’une exposition éponyme à la Fondation Bodmer de Genève, le Courage d’écrire est une incursion dans la vie d’un lutteur implacable contre le système totalitaire ; d’un grand conspirateur, qui a su mettre sur pied un réseau de cachettes et de complices pour mener à bien ce combat ; d’un amoureux inconditionnel de la Russie, de sa langue et de ses paysages ; d’un chroniqueur ambitieux qui dressait des fresques épiques pour analyser les rouages de l’histoire.
Pour la première fois, les archives de Soljenitsyne ont été entrouvertes au public. Natalia Soljenitsyne, véritable sparring-partner, désormais gardienne de sa mémoire et de son héritage, s’est aventurée dans les dédales des manuscrits, cahiers et classeurs de notes de son défunt mari - parfaitement classés au demeurant -, pour en extraire quelque deux cents pièces des plus parlantes.
Ainsi, le manuscrit original de l’Archipel du Goulag, demeuré enterré en Estonie pendant les vingt années d’exil de la famille, restitué à son auteur à son retour en 1994. Ou encore un échantillon de la monumentale Roue rouge, l’épopée historique sur l’enlisement de la Russie dans la violence révolutionnaire : des premières notes manuscrites de 1937-1939 du jeune étudiant en mathématiques aux pages écrites secrètement en prison, un des cahiers manuscrits de Novembre 16, mais aussi des pages d’épreuves dont les marges servent à une véritable correspondance entre les époux Soljenitsyne, Natalia corrige et fait des suggestions argumentées, qu’Alexandre accepte ou non, en justifiant.Cet attirail de l’écrivain permet d’entrer dans un contact plus intime avec l’homme, de le décrypter entre ses lignes. «Etre avare de son temps et le rendre aussi dense que possible» (Aime la Révolution !), c’est le précepte selon lequel il a vécu et travaillé jusqu’à sa mort et qu’illustre le Courage d’écrire.
Dans ses immenses archives, dont l’inventaire reste à venir, tout est classé selon une logique inflexible, chaque centimètre carré de papier utilisé, tout comme chaque instant de sa vie a été employé à la tâche.
Alors que les derniers volumes de la Roue rouge sont sous presse en France et que Natalia Soljenitsyne prépare une œuvre complète en trente volumes, Alexandre Soljenitsyne.
Le courage d’écrire permet de patienter, en compagnie de l’écrivain. Et de répondre à l’invitation de Georges Nivat, auteur de la longue préface : «C’est le moment de ranimer l’intérêt pour Soljenitsyne, montrer à quel point c’est un maître à penser le temps et l’histoire avide de tout vérifier par lui-même, et retenir la leçon de volonté d’un homme.