Le Midi Libre - Société - Un patrimoine menacé de disparition
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Edition du 25 Mai 2011



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Thiqlaâth, ou les greniers collectifs berbères
Un patrimoine menacé de disparition
25 Mai 2011

En dépit de leur grande valeur archéologique, les vestiges des ultimes thiqlaâth (greniers collectifs), bâtis depuis plusieurs siècles avec habileté par les habitants des Aurès, risquent aujourd’hui de disparaître totalement si rien n’est fait pour leur sauvegarde.

Construits sur des crêtes de montagnes et des escarpements, le long des berges d’Ighzar Amellal, également appelé Oued Labiod (le cours blanc), ces thiqlaâth ont besoin plus que jamais "d’actions sérieuses" à même de protéger ce qui reste de ce type ancien d’architecture amazighe locale, selon des experts chargés du patrimoine archéologique.
Pour le chef du service du patrimoine culturel à la direction de la culture de Batna, Ali Guerbabi, ce modèle architectural berbère authentique, dont les origines remontent à des centaines d’années, est "typique de la région des Aurès et du sud tunisien". La classification constitue le premier pas nécessaire pour préserver ce patrimoine inestimable qui témoigne du génie des habitants de cette région, qui ont inventé ce modèle de construction, à l’abri des périls que peuvent représenter les attaques d’éventuels ennemis, selon M. Guerbabi. Sur la centaine de thiqlaâth recensée à ce jour le long de l’oued Labiod, deux seulement, à Baloul et Iguelfène (ce dernier grenier est construit sur sept étages) ont été classés en 1993 patrimoine national. Ces deux thiqlaâth n’ont cependant bénéficié, à l’instar de tous les autres, d’aucune opération de restauration ou d’aménagement ne nécessitant pourtant pas, de l’avis des spécialistes, des sommes importantes, vu que les matériaux avec lesquels ils sont construits (pierres, pisé, troncs d’arbres et palmes) sont disponibles localement. Leur emplacement dans des zones reculées, au relief accidenté, constitue la seule entrave pouvant rendre problématique la valorisation de ces trésors de l’histoire des populations des Aurès.

Thiqlaâth, stratégie de subsistance de la tribu et symbole de sa richesse, de sa puissance et de son unité
Les thiqlaâth ont constitué à travers le temps les éléments d’une stratégie de subsistance pour les tribus qui habitaient la région des Aurès. Ce sont des genres de greniers communautaires pour le stockage des récoltes agricoles et des vivres, comme les légumes, les légumes secs, le beurre, le miel, la viande salée... Chaque thiqlaâth porte le nom de la tribu ou du arch qui l’a érigée. Afif Mohamed Ben-Ahmed (85 ans), Cheikh du arch des Ouled Abed dans la commune de Ghassira, se souvient du rôle que représentait ces greniers communautaires pour ses aïeuls qui y voyaient la source de leur richesse, de leur puissance et de leur cohésion sociale. Ces thiqlaâth assuraient des fonctions sociales, économiques et défensives et constituaient une structure de raffermissement de l’attachement de la tribu à son territoire.
C’est pourquoi, confie-t-il à l’APS, en montrant du doigt la thiqlaâth d’Ouled Abed, ces greniers ont été construits sur des hauteurs naturellement fortifiées par un relief pierreux, accidenté qui les rend difficilement accessibles, tout en permettant de guetter les mouvements aux alentours. Leur construction sur plusieurs niveaux (le nombre "d’étages" dépend, en fait, de l’importance de la population du arch) "utilise surtout les pierres", ajoute cet octogénaire.
Chaque thiqlaâth se compose de plusieurs petites pièces appartenant à une famille du arch qui y entrepose ses provisions, soit pour les périodes de disette, de guerre, ou en prévision de son retour en hiver, car, ajoute cheikh Mohamed, ces archs pratiquaient "un certain type de nomadisme".
Leur construction prenait en considération les besoins d’aération et d’exposition au soleil, par la pratique de multiples ouvertures sur les murs de chaque niveau, affirme cheikh Mohamed qui indique que le transport des récoltes vers les thiqlaâth s’effectuait à dos de mulets avec la participation des femmes et sous le regard vigilant du chef de la tribu dont l’autorité s’exerce sur tous les membres de la tribu, sans exception.

Ghassira, la cité des thiqlaâth
Dans l’imaginaire des touristes nationaux et étrangers, Ghassira ce sont surtout les très renommés "balcons de Ghoufi", un site également connu sous le nom de "Colorado des Aurès". Mais cette ville de la daïra de T’kout est tout aussi célèbre pour ses nombreuses thiqlaâth, disséminées sur les berges escarpées de l’Oued Labiod, mais dont il ne reste aujourd’hui que sept pour transmettre aux générations l’un des modes d’adaptation des hommes des Aurès à la rudesse de la nature dans cette région.
Les thiqlaâth de Nath Mimoune, de Nath Mansour, de Nath Yahia, de Nath Abed et autres attendent des actions à même d’éviter un inexorable processus de dégradation sous l’action conjuguée de l’inconscience de certains hommes et des éléments naturels.
Ces bâtisses si originales représentent un pan du patrimoine national amazigh et une pièce maîtresse pour le tourisme, d’autant que ces greniers ont de tout temps subjugué les touristes étrangers, assure Mohamed Benmedour, président de l’Association du tourisme et des métiers traditionnels de Kaf Laarouss (Ravin du marié) de la commune de Ghassira.
Ce qui attriste le plus les enfants de la région, c’est la dégradation continue de ces thiqlaâth qui disparaissent les unes après les autres dans une totale indifférence, déplore Benmedour qui souligne que la thiqlaâth de la vallée du Ghoufi est la dernière à avoir subi ce sort alors qu’elle a eu à servir de musée ou encore de siège pour les associations à vocation touristique et de centre de repos pour les touristes.
Pour le chef du service du patrimoine culturel, les thiqlaâth "mériteraient bien de faire l’objet d’un séminaire pour étudier leur situation actuelle et engager une réflexion sur la préservation de ce précieux patrimoine". APS


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