Le professeur Ould Taleb cumule 20 ans de carrière en psychiatrie, 14 ans au service des enfants autistes. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il explique qu’un enfant autiste pris en charge précocement peut retrouver une vie normale. Mais il nous relate aussi le manque terrible de structures en Algérie, la souffrance des parents et des enfants. Le professeur Ould Taleb est l’auteur d’un ouvrage remarquable : «Le spectre de l’autisme»
Le Midi Libre : Comment est caractérisée cette pathologie ?
Pr Oul Taleb : Avant de répondre à votre question, je tiens d’abord à remercier le journal Midi Libre d’avoir pensé à évoquer un immense problème de santé publique qu’est l’autisme. L’autisme est, donc, une maladie infanto-juvénile dont les signes se remarquent les 3 premières années de la vie. On fait le dépistage à 18 mois et le diagnostic de certitude à 3 ans.
L’autisme est caractérisé par des troubles nommés les troubles envahissants du développement chez l’enfant. C’est une maladie qui peut être chronique, handicapante lorsqu’on ne propose pas des soins dès l’âge de 3 ans. Kaner, qui a décrit la maladie en 1943, a fait une différence fondamentale avec le retard mental. Il ne s’agit pas d’un retard mental ; l’autisme se complique seulement en retard mental.
Comment se manifestent les signes de cette maladie ?
Il y a cinq signes :
Premièrement, ce sont des enfants qui se renferment sur eux-mêmes, qui n’arrivent pas et ne peuvent pas établir un contact affectif avec les autres. Ils ont une tendance à la solitude. Ils ignorent leurs propres parents ainsi que tout leur entourage. Mais souvent, ces signes passent inaperçus par leurs géniteurs.
Deuxièmement, il y a l’absence totale de la parole qui doit attirer l’attention des parents. Il ne faut pas donc attendre 5 ans ou 6 ans pour consulter, car c’est déjà un peu trop tard. il faut consulter à l’age de 18 mois ou 2 ans, c’est là ou le petit enfant commence à organiser son langage, à parler et utiliser les verbes.
Troisièmement, chez l’autiste, on constate des gestes inhabituels que l’enfant retient d’une façon récurrente, avec ses mains, sa bouche ou même ses pieds et le fameux balancement du thorax d’avant en arrière.
Quatrièmement, la tendance a l’immuabilité, c’est-à-dire le refus du changement alors que pour se développer, il faut changer, or l’enfant autiste refuse se changement.
Et, enfin, les troubles de la communication. En général, on n’arrive pas à le comprendre et ses parents n’arrivent pas à communiquer avec cet enfant. Ces cinq signes fondamentaux peuvent donc présenter un syndrome de retard psychomoteur, l’enfant ne babille pas à 9 mois, il ne parle pas à 12 mois, il n’est pas propre à 18 mois, il n’a pas un bon tonus, donc ces signes vont s’installer progressivement pour constituer la maladie.
Donc la maladie s’aggrave ?
La maladie s’aggrave non pas parce que l’enfant va mourir mais le retard mental va s’installer comme conséquence de l’autisme. Voila se qu’il faut comprendre. L’autisme conduit au retard mental. Je vous donne un exemple, un enfant qui est atteint moyennement ou sévèrement à l’age de 3 ans d’autisme présente une intelligence, des capacités cognitives de 6 mois, c’est-à-dire qu’il y a un décalage entre son âge chronologique qui est âgé de 3 ans et son intelligence n’est pas évaluée à 3 ans ce qui fait que beaucoup de familles ou de thérapeutes qui ne connaissent pas cette maladie prennent l’autisme comme des enfants retardés. Effectivement, ce sont des enfants retardés car ce sont des autistes. Un trisomique par exemple, c’est un retardé mental mais pas un autiste.
Quelle est la prise en charge de ces autistes ?
Là il n’y a qu’une seul prise en charge, il faut proposer un programme. Il y a l’A.B.A, une technique qui relève d’une analyse du comportement. Et puis il y a le programme de Chopler qu’on applique dans notre service depuis une dizaine d’années qui, à mon avis, est efficace puisque beaucoup d’enfants ont pu être rééduqués. On commence les soins à partir de 3 ans et la thérapie dure 3 ans. On propose au moins deux heures de stimulation par semaine et on forme également les mamans pendant deux heures par mois. Donc les mamans deviennent dans ce programme co-thérapeutes. Face à l’isolement, Chopler, qui est un grand psychologue américain, a dit : «Face à l’isolement, il faut proposer la stimulation. Cette stimulation entreprise par les thérapeutes, pédo-psychiatres, orthophonistes, psychologues… se fait selon un programme vigoureux, scientifique et régulier. Il ne s’agit pas là de faire un bricolage, nous suivons ce programme de façon méticuleuse où l’enfant reçoit ses stimulations.
Combien d’enfants avez-vous en charge dans ce centre ?
Actuellement, nous avons 80 enfants dans notre centre de Drid-Hocine qui reçoivent des soins régulièrement. Nous avons calculé que pendant ces 3 ans, l’enfant bénéficie de 1.200 heures de stimulation. Cela donne de très bons résultats car on a constaté que 15 à 20 % d’enfants autistes ont repris l’école normalement. 20 à 30% qui sont atteints d’un autisme sévère ont pu acquérir une autonomie relative. Ils commencent à marcher, à parler, nous les orientons dans des centres psycho-pédagogiques lorsqu’il y a de la place et ce n’est pas toujours évident. Les autres restent à l’hôpital du jour jusqu’à l’âge de 16 ans.
Beaucoup de témoignages que nous avons recueillis auprès des parents d’enfants autistes relèvent le manque de structures pour la prise en charge de leurs chérubins ; comment expliquez-vous cette faille ?
Oui, il y a un manque de réception d’enfants malades au niveau des hôpitaux spécialisés dans ce domaine. Notre centre de pédo-psychiatrie Drid-Houcine est saturé en ce moment. Il y a 150 enfants autistes qui sont sur la liste d’attente. Malheureusement, nous n’avons pas de place. Il faut dire que nous recevons 6.000 consultations, pas seulement d’autistes, mais des enfants et ados qui représentent d’autres troubles, anorexiques, dépressifs, tentatives de suicide, troubles d’apprentissage… Et en Algérie il y a un manque terrible de services de psychiatrie. Au niveau du Centre d’Alger, il y a 3, à Blida, Chéraga et Drid-Hocine ; ce dernier est le plus grand.
Q’en est-il des centres à l’intérieur du pays ?
Nous souhaitons que d’autres structures s’ouvrent dans d’autres régions. Car pour soigner un enfant, il faut deux conditions, à savoir la disponibilité des thérapeutes et la proximité. J’estime que vous ne pouvez pas traîner un enfant handicapé dans un bus et faire 6 heures de route, voire parfois plus, pour soigner son enfant. Les parents souffrent car impuissants devant la souffrance de leurs enfants, ils sont livrés à eux- mêmes, il n’y a pas de services spécialisés qui puissent les accompagner.
Et pour les adultes et adolescents qui ne bénéficient pas de soins à partir de 16 ans, a-t-on prévu des structures pour eux ?
Il n’y a malheureusement aucune structure spécialisée pour cette tranche de malade alors qu’on peut leur proposer des hôpitaux du jour, des ateliers protégés, des centres d’aides pour le travail ( C.A.T).
Un dernier mot…
Actuellement, nous avons deux grands problèmes majeurs qu’il faut régler vite.
Il faut qu’il y ait des centres de santé mentale pour l’adulte et l’adolescent. J’espère que la tutelle puisse réfléchir à ce grand problème de la santé mentale en Algérie, qu’il y ait un plan en urgence pour une prise en charge adéquate et de proximité. L’algérie est un pays d’adolescents, un pays de jeunes dans 70 % de sa population. Malheureusement, la structure qui leur est offerte pour la prise en charge de leurs souffrances psychiques ne correspond pas aux besoins réels du pays.