Le Midi Libre - Supplément Magazine - Des contes anciens recueillis par Taous Amrouche
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"Le grain magique"
Des contes anciens recueillis par Taous Amrouche
9 Mars 2011

«Le grain magiqu» est un ouvrage sublime qui a pérennisé les légendes kabyles par l’écrit, tout comme Mouloud Mammeri l’a si bien fait dans les «Poèmes kabyles anciens». Les sauveurs de l’oubli.

En écoutant ces contes et légendes, on s’identifie souvent à l’héroïne de l’histoire qui s’installe en nous. Par ailleurs, le conte est une vision imaginaire d’une société sublimée dans l’esprit de chacun, souhaitée et idéalisée, face à un destin sans complaisance, le conte se veut une projection optimiste d’un avenir meilleur, et d’un dénouement heureux .
Ainsi l’histoire de L’oiseau de L’orage, raconte que dans les temps anciens , vivait une famille kabyle composée du père de la mère et de leurs huit enfants (cinq filles et trois garçons). C’était une famille fort appréciée dans le village parce qu’en son sein régnait une joie de vivre et de plus elle avait l’âme charitable .
Jamais un mendiant qui venait frapper à la porte de leur demeure ne repartait bredouille, il repartait toujours avec sa part de repas .
Un soir d’hiver, d’orage et de froid on entendit dans le bruit du vent et de la pluie une voix. «Le pain de Dieu ,ô homme de bonne volonté».
Yamina , la plus jeune des filles se proposa d’apporter sa part du dîner au mendiant, elle ouvrit la porte puis traversa la cour sous l’averse et dit à l’invité de Dieu .
- Voici ta part du souper .
Mais ne voilà-t-il pas que celui-ci chargea la petite fillette sur ses épaules et s’envola avec elle sous les orages.  Ils voyagèrent ainsi toute la nuit à travers le ciel et au petit matin, l’oiseau et Yamina arrivèrent dans la demeure de
«L’oiseau de L’orage». Celui-ci fit asseoir la fillette et lui donna à manger dans l’obscurité .
-Parce que tu es charitable et tu n’as pas craint de venir à moi par ce temps de froid, j’ai voulu ton bonheur et je t’ai emmenée. Désormais, tu vivras au cœur même du paradis terrestre. Il te suffira de tourner cet anneau que je passe à ta main gauche pour que tes désirs les plus chers seront exaucés . Seulement , moi qui suis près de toi , qui te parle, tu ne me verras pas, tu ne connaîtra ni ma taille ni mon visage, car il faut que je te demeure invisible jusqu’au jour où je serai délivré du sort qu’un esprit méchant m’a jeté. Cependant je coucherai près de toi et je m’éloignerai chaque jour avant l’aube pour ne revenir qu’à la nuit noire et je veillerai toujours sur toi. Si tu acceptes ces conditions et me promet de ne jamais chercher à me surprendre , rien ne te manquera .
Yamina qui n’était qu’une enfant ne pouvais pas comprendre , elle dit :
- Oui j’accepte , puis s’endormit d’un sommeil enfantin .
À son réveil, elle crut rêver lorsqu’elle se retrouva dans un immense château entouré de magnifique vergers que traversait un ruisseau dont l’eau qui coulait à travers les rochers transmettait un son cristallin jusqu’aux endroits les plus éloignés du palais. Ces vergers donnaient toutes sortes de fruits magnifiques, dont certains exotiques, que Yamina n’avait jamais vu .
Véritable jardin des Hespérides dans lequel allait vivre la jeune paysanne. Yamina ne manquait de rien dans cette vaste et belle propriété et possédait entre autres les plus belles toilettes du monde. Ainsi, il lui arrivait d’en changer plusieurs fois par jour, juste pour son plaisir et le bonheur que lui procurait le frottement léger des soieries diaphanes sur son corps.
Elle vécut dans ce paradis, coulant des jours heureux , entourée d’oiseaux merveilleux volant de branche en branche, qui semblaient à ses petits soins en chantant toute la journée sur différents tons .
Des jours, des semaines et des mois passèrent ainsi . A la nuit tombante , une légère brise annonçait l’arrivée de «L’oiseau de l’orage» , avec qui elle partageait la couche .
Il était là, tout près d’elle et lui demandait d’une voix tendre et basse.
- Es-tu heureuse ? Y a t-il une chose que tu désires dans le secret de ton cœur .
- Je ne désire rien que je n’aie déjà, répondait toujours l’enfant, sans jamais essayer de le dévisager engagée par son serment.
Maintenant Yamina était une jeune fille, et après avoir découvert tout les mystères de son jardin, commençait a se lasser, puis une monotonie pesante s’installa en elle et la nostalgie de revoir les siens la hanter. Alors dans son cœur elle regrettait et se languissait de sa vie d’antan chez ses parents .
Un soir , «L’oiseau de L’orage» surprit ce chagrin qu’il ne soupçonnait pas, se pencha vers la jeune fille et d’une voix sécurisante lui demanda :
-Pourquoi pleures-tu ? Ce bonheur ne te suffit-il plus ?
-Je voudrais revoir ma famille, gémit Yamina. J’étais une enfant lorsque j’ai quitté mes parents et je suis une femme aujourd’hui.
«L’oiseau de l’orage», décida d’accorder à son épouse un mois de visite pour revoir ses parents. Ainsi il attendit que la nuit fut très obscure et s’éleva dans le ciel tenant Yamina contre son cœur. Un peu avant l’aube il la déposa devant le seuil de sa maison et lui murmura à l’oreille que dans trente jours il reviendrait par une nuit d’orage la reprendre.
Yamina était très heureuse de revoir ses parents , ses frères et sœurs et la joie était partagée. Ses sœurs étaient curieuses de connaître tout sur la nouvelle vie de leur benjamine, laquelle ne fut point avare en descriptions, sauf concernant son mari qu’elle ne pouvait pas décrire et pour cause ; lorsque Yamina en donna les raisons, ses sœurs trouvèrent les motifs ridicules, aussi lui suggèrent-elles de percer ce secret en emportant une bougie avec elle le jour de son départ.
Le dernier jour arriva. À l’heure du dîner l’orage éclata semblable à celui qui avait emmené la petite fille autre-fois. Yamina était déjà prête : ses sœurs lui avaient remis une bougie qu’elle avait glissée dans son corsage.
«L’oiseau de l’orage» éleva son épouse dans les airs et atteignit son royaume un peu avant l’aube .
Yamina se réveilla dans la splendeur de sa chambre mais ne trouva point l’émerveillement d’autrefois. Elle n’était plus heureuse et avait perdu tout le plaisir qu’elle éprouvait auparavant à vivre dans l’Eden qu’était son palais cerné par une nature d’une beauté infinie. Maintenant qu’elle connaît la raison de sa tristesse, son esprit tout entier était accaparé par cette envie de découvrir le visage de l’homme de sa vie .Mais elle se rappelait la promesse par laquelle elle était liée à son époux. Prise par se dilemme, la jeune fille était déchirée jusqu’au plus profond de son âme .
Qui pouvait l’aider à repousser la tentation de dévisager enfin son mari et demeurer fidèle à son serment ? Hélas elle était seule et la voix de son être cher ne compensait plus se désir de le connaître .
Epuisée vint le jour où tout lui sembla préférable au sort qui était le sien. Un soir donc , elle résolut de faire ce que ses sœurs lui avait suggéré.
Par malchance, un vent violent fit tomber le vase dans lequel Yamina avait posé la bougie, alors «L’oiseau de l’orage» comprit que sa jeune épouse avait voulu rompre son engagement .
-Tu as manqué à ton serment, tu as brisé ta joie. Pour avoir voulu connaître mon visage avant la fin du mauvais sort qu’on a jeté sur moi, tu me perds à tout jamais, toi à qui j’ai offert ma voix et qui possédait ma présence à tes cotés ,tu ne me reverras plus.
Yamina pleura, supplia mais en vain. Il la prit une dernière fois sur ses épaules et la rendit à ses parents comme il l’avait prise. Ainsi s’achève, dans le remord et l’amertume le rêve et le conte de fée de Yamina.


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