Le Midi Libre - Culture - «La régente de Carthage, Main basse sur la Tunisie»
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Edition du 22 Janvier 2011



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Le dernier livre de Nicolas Beau et Catherine Graciet
«La régente de Carthage, Main basse sur la Tunisie»
22 Janvier 2011

Ce livre risque de faire l’effet d’une bombe à Tunis. Les deux journalistes y expliquent, avec menus détails, comment « la présidente », Leïla Trabelsi, l’épouse du président Zine el-Abidine Ben Ali, aurait réussi, à la tête de son clan familial, à faire « main basse » sur des pans entiers de l’économie tunisienne.

Leïla Trabelsi avait demandé l’interdiction de ce livre au Tribunal de grande instance de Paris. Le livre comportant, selon elle, « des passages diffamatoires et d’autres injurieux » à son encontre. Elle a finalement été déboutée le 30 septembre, et condamnée à verser 1500€ à la maison d’édition du livre. Le tribunal avait notamment considéré que celle-ci « n’a pas respecté dans son assignation l’obligation qui pèse sur elle d’indiquer les textes de loi applicables à la poursuite ». Un comble pour une « diplômée en droit »… Le livre est donc disponible en librairie, en 18.000 exemplaires, depuis le 1er octobre et ne manquera certainement pas d’être un succès commercial. Rappelons que le livre "Notre ami Ben Ali" du même Nicols beau, coécrit avec Jean-Pierre Turquoi, s’était vendu comme des petits pains et même réédité. Les services consulaires tunisiens des pays où le livre était en vente, avaient reçu l’ordre d’en acheter le plus d’exemplaire possible.
Considérant le fait que le livre est déjà interdit en Tunisie et les difficultés que la plupart des Tunisiens vivant en Tunisie connaîtront pour se le procurer, nous avons décidé d’en publier de larges extraits. Nous commençons par le deuxième chapitre qui revient sur l’irrésistible ascension de Leila Trabelsi épouse Ben Ali…

Une fulgurante ascension
Qui est Leila Trabelsi ? La fille facile, voire l’ancienne prostituée, que décrivent volontiers les bourgeois tunisiens ? La courtisane issue d’un milieu modeste et prête, pour réussir, à quelques arrangements avec la morale ? Ou encore la jeune femme indépendante et ambitieuse dont les rencontres amoureuses favorisèrent une fulgurante ascension sociale ? Il est fort délicat, comme on l’a vu, de retracer sa biographie tant la rumeur le dispute aux faits. Et, pour ne rien arranger, il existe en Tunisie, aussi incroyable que cela puisse paraitre – et ce que beaucoup ignorent -, deux Leila Trabelsi.

Le secret des deux Leila
Le nom de Trabelsi étant très répandu au pays du jasmin, rien d’étonnant à ce que Leila Trabelsi ait une homonyme. Mais la véritable surprise, la voici : les deux Leila gravitent, dans les années 1980, dans des milieux comparables, des salons de coiffure aux antichambres du ministère de l’Intérieur. Leurs parcours sont parallèles, leurs destins croisés. Dont les amalgames et les confusions qui vont polluer encore un peu plus la biographie tenue secrète de l’épouse du général Ben Ali. La seconde Leila Trabelsi a débuté sa carrière avec plus d’éclat que l’actuelle première dame. Au début des années 1980, cette femme séduisante tenait le salon de coiffure Donna, sur la route de La Soukra. Toutes les dames de la bonne société fréquentaient l’endroit. Est-ce là que Leila bis se fit quelques relations au sein du pouvoir ? Et qu’elle commença à travailler pour le ministère de l’Intérieur ? En tout cas, elle va jouer alors, pour le compte des services secrets, le rôle d’une Mata-Hari. Grace à ses charmes, salon de bonnes sources, elle s’est introduite dans les milieux libyens. A l’époque, le colonel Kadhafi avait fort mauvaise réputation en Tunisie. Forte de ses pétrodollars et des ardeurs guerrières de son « guide », la Libye faisait peur aux dirigeants tunisiens. Surtout après les événements du 27 janvier 1980, lorsqu’une quarantaine de Tunisiens entrainés en Libye tentèrent de s’emparer de Gafsa, au sud du pays. L’attaque échoua, mais de nombreuses condamnations à mort furent prononcées. D’où la surveillance incessante que le régime de Bourguiba, aidé notamment par les services secrets français, exerça ensuite sur ce voisin menaçant. Les Libyens avaient – et ont toujours – la fâcheuse tendance à considérer les femmes libérées par Bourguiba comme des femmes faciles. La Tunisie, dans l’imaginaire de certain d’entre eux, serait un lieu de perdition, à la façon du Liban pour les gens du Golfe. L’attrait qu’exerce le pays des tentations n’a pas échappé aux flics de Tunis, qui ont souvent poussé dans les bras des amis de Kadhafi quelques belles espionnes. Certaines mauvaises langues vont jusqu’a prétendre que Leila Trabelsi bis avait, au départ, travaillé pour le compte du régime libyen, avant d’être retournée par les services tunisiens. Hypothèse plausible : elle est née en Libye et elle possède le double passeport. Son nom, Trabelsi, signifie « originaire de Tripoli ». En tout cas, elle avait ses entrées au ministère de l’Intérieur et fit connaissance, dans ces années-la, de tous les grands flics tunisiens, y compris le général Ben Ali. Ces accointances expliquent qu’elle soit devenue, à la fin des années 1980, la maitresse de Mohamed Ali Mahjoubi, surnommé Chedly Hammi par le premier cercle de ses amis. Ce haut fonctionnaire devait devenir le premier directeur de la sûreté du président Ben Ali, puis son secrétaire d’Etat à la Sécurité. Mais Chedly et sa Leila bis dérangeaient. La future présidente, elle, n’était pas encore officiellement mariée elle n’était que la maitresse de Ben Ali. Comment supporter ce double qui lui renvoyait sa condition de femme illégitime ? Et comment accepter ce miroir déformé de son propre passé ? Le président Ben Ali insista alors auprès de Chedly Hammi pour qu’il cessât toute relation avec sa maitresse. Après le refus de ce dernier, l’histoire tourna mal. En 1990, le secrétaire d’Etat et sa douce sont arrêtés, jetés en prison et condamnés pour « intelligence avec Israël ». Le successeur de Chedly Hammi au secrétariat d’Etat à la Sécurité, Ali Ganzaoui, un protégé de la présidente, fait le siège des services français. Il lui faut à tout prix que ces derniers lui fabriquent les preuves de cette coopération avec les Israéliens. Dans les fameux carnets du général Philippe Rondot, conseiller spécial en France des ministres de la Défense successifs, figurent effectivement à cette époque des rendez-vous avec Ganzaoui. « Je ne peux rien faire pour lui, confiait le général Rondot à l’un de ses contacts tunisiens, cette histoire d’espionnage pour les israéliens est totalement inventée. » Deux ans plus tard, Chedly Hammi sort de prison. Ben Ali le fait venir au palais de Carthage. « Je suis désolé, lui dit-il, on m’avait induit en erreur ». Il n’empêche que la seconde Leila, elle, a disparu dans les sables du désert. Personne, à Tunis, n’a plus de nouvelles d’elle. La triste vie de l’homonyme de Leila y est devenue un sujet tabou.

De l’agence de voyages au secrétariat de direction
Née en 1957 dans une modeste famille nombreuse, la future épouse du général Ben Ali a grandi à Khazenadar, près du Bardo à Tunis. D’autres se souviennent que la famille Trabelsi a vécu à El Hafsia, un des quartiers les plus délabrés de la Medina. Son père vendait des fruits secs et sa mère élevait les onze enfants. Avec le brevet en poche, la jeune Leila entre à l’école de coiffure de la rue de Madrid. Elle fit ses premières armes « Chez Wafa » une coiffeuse de la place Barcelone. En 1975, à dix-huit ans, elle rencontra un certain Khelil Maaouia, alors patron de l’agence Avis sur la route de l’aéroport. Folle amoureuse, elle se maria, avant de divorcer trois ans plus tard. Mon mari passe son temps à la chasse, se plaignait-elle, il ne s’occupe pas de moi. » C’est l’époque oû Leila a été embauchée à l’agence Voyage 2000. Son propriétaire, Omrane Lamouri, possédait également, aux environs de Tunis, l’hôtel des Colombes. L’agence se trouvait au cœur de la capitale à l’immeuble central, une galerie marchande à deux pas de l’ambassade de France. Leila découvrit le milieu des hommes d’affaires, voyagea un peu, s’ouvrit au vaste monde. Femme indépendante, elle roulait déjà dans une petite Renault 5. Elle sortait beaucoup et ses amies de l’époque en parlent avec sympathie, disant d’elle qu’elle était toujours disponible pour faire la fête ou aller à la plage. Ce qui lui vaudra, dans la Tunis populaire, le surnom de « Leila Gin », en raison de son gout supposé pour cette boisson alcoolisée. En règle générale, Leila est toujours restée discrète sur ses relations amoureuses. A ses heures perdues, elle se livre alors quelquefois à des petits trafics douaniers entre Paris et Rome. Une initiative qui lui permet d’arrondir ses fins de mois et de briller devant ses copines aux revenus plus modestes. Hélas, elle se fait prendre un jour la main dans le sac et se voit retirer son passeport. Elle en appelle à une puissante relation, Tahar Mokrani, un des piliers de la création, lors de l’indépendance, du ministère de l’Intérieur. Ce dernier intervient. Serait-ce à cette occasion que Leila aurait été revue par Ben Ali, directeur de la Sûreté de décembre 1977 à avril 1980 ? Selon plusieurs témoignages que nous avons recueillis, ce serait le cas. De toute façon, cette première rencontre n’aura guère de suite. En janvier 1980, les événements de Gafsa vont être fatals pour le directeur de la Sûreté, accusé de négligence. Le général Ben Ali est relégué en Pologne comme ambassadeur. La rencontre qui va véritablement bouleverser la vie de Leila Trabelsi est celle de Farid Mokhtar. Cultivé, féru d’art, animant le Club africain de foot de Tunis, le concurrent de L’Esperance sportive de Tunis, cet industriel dirigeait la Société tunisienne des industries laitières (STIL), une grande entreprise d’Etat. Enfin, il était le beau-frère de Mohamed Mzali, alors Premier ministre. Grâce à Farid, Leila fut embauchée comme secrétaire de direction à Batimat. Cette société était une des innombrables filiales de la Société tunisienne de banque, alors présidée par l’oncle de Farid, Hassan Belkhodja, qui fut un proche de Bourguiba et le premier ambassadeur à Paris de la jeune République tunisienne, avant de devenir ministre puis banquier. On se retrouvait très loin du monde de l’école de coiffure et de l’agence de voyages. En compagnie de Farid Mokhtar, la jeune Leila va découvrir la bonne société de Tunis. Leur liaison durera trois ou quatre ans, jusqu’à ce que Farid y mette un terme. En 1984, le général Ben Ali rentre de son exil en Pologne. Très épris de Leila, qu’il revoit rapidement, il l’installe dans une confortable villa sur la route de La Soukra. Elle cesse toute activité et vit dans l’ombre de Ben Ali, nommé ministre de l’Intérieur par le Premier ministre Mohamed Mzali. Tous deux nourrissent désormais les mêmes ambitions. « Sois patience, nous serons bientôt au palais de Carthage », lui dit-il un jour, alors qu’il doit la quitter pour un rendez-vous urgent. Les noces seront célébrées en 1992.


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