Le royaume d’Ath Abbas, vous connaissez ? Eh bien il a existé dans la Kabylie orientale au XVIe siècle. Il a pris forme à ce moment crucial, qui devait voir les habitants d’Alger faire appel aux frères Barberousse pour se prémunir contre les attaques des Espagnols.
Un certain nombre d’institutions viennent d’exhumer cette dynastie kabyle qui régna sur les Bibans, il s’agit de l’association «Gehimab» basée à Bejaïa (Groupe d’études sur l’histoire des mathématiques à Bougie médiévale), du CNRPAH (Centre national de recherches préhistoriques anthropologiques et historiques) d’Alger (pour le compte du ministère de la Culture), de la wilaya de Bejaïa à travers l’APC d’Ighil Ali et la Kalâa n’Ath Abbas et de la wilaya de Bordj Bou-Arréridj.
En effet, à l’initiative de ces institutions qui ont voulu ainsi célébrer le 500e anniversaire de la fondation de ce royaume, la salle El Mougar à Alger a abrité jeudi en fin d’après-midi une exposition sous l’intitulé « Kalaâ n’ath Abbas : Un royaume indépendant dans les Bibans au XVIe siècle ». La cérémonie d’ouverture de cette exposition qui tranche, il faut le dire, par sa haute facture et sa qualité d’élaboration, a été marquée par la présence d’Ali Haroun, ex-membre du HCE et militant de la cause nationale.
La soirée a été égayée par une collation et un concert de musique andalouse animé par l’orchestre féminin d’Ahbab Cheikh El Bedjaoui. Analysant la portée de cet événement, l’anthropologue Ali Sayad pense qu’il ne s’agit pas « d’exhumation d’un royaume, mais d’une civilisation, d’une culture » qui selon lui « s’était développée d’abord à la Kalaâ des Beni Hammad, dont les habitants devaient fuir les Hilaliens vers Bougie».
« Lorsque, les Espagnols et les Turcs fera-t-il observer, ont occupé Bougie, il y a 5 siècles, le royaume s’est retiré à la Kalaâ des Beni Abbas qui va devenir l’incarnation d’un certain nombre de traditions, de gouvernement et de culture, la Kalaâ a été bien plus un pôle culturel comparativement au royaume de Koukou, où le petit roitelet Ath al-Kadi a fait plus de mal que de bien, en revanche poursuit notre interlocuteur Ath Abbas puise dans une culture qui remonte à 1052. Tout en donnant liberté aux villages, ajoute-t-il ce pouvoir dynastique a su transmettre la culture ».
Pour sa part, le professeur Djamil Aïssani, commissaire de l’exposition, président de «Gehimad» et enseignant à l’Université de Bejaïa déplore le fait que la mémoire de ce royaume ne se soit pas perpétuée même au niveau local. « On n’a pas donné l’importance qu’il fallait à cette dynastie. Ce qu’on avait mis en avant, c’est cheikh El Mokrani, c’est-à-dire qu’on a limité 500 ans d’histoire à quelques dizaines d’années, il fallait faire ce travail qui est le fruit de 15 ans de recherches » relève-t-il. Pour le sociologue et anthropologue Youssef Nacib, Ath Abbas a été « un royaume comme pouvait l’être un royaume au XVIe siècle, c’est-à-dire que c’était un ensemble de villages qui ne représenteraient pas aujourd’hui un Etat bien entendu ». Et d’ajouter : « Mais ce qui est important, c’est de savoir se réapproprier objectivement son passé, qu’on le veuille ou pas un royaume comme celui des Beni-Abbas fait éminemment partie de notre histoire et de notre passé. Aujourd’hui évidemment, les données ne sont plus les mêmes, on peut sourire à l’idée que c’était un royaume alors qu’aujourd’hui il ne représenterait même pas une wilaya dans ce grand ensemble qu’est la nation algérienne, mais connaître son histoire, a-t-il ajouté c’est s’approprier un élément identitaire oublié, c’est s’approprier un élément sous-tendant une psychologie sociale d’importance.» « C’est intéressant a-t-il ajouté aussi de savoir que les siècles précédents ont connu une vie que nous avons eu à l’époque des gens qui étaient organisés, étudiaient, produisaient. Cela montre simplement une évidence, c’est que l’histoire relève du continu, c’est-à-dire que l’Algérie n’existe pas depuis1962, elle existait bien avant avec des données historiques, économiques différentes.» Et de conclure : « Mais cela appartient quand même à notre histoire. » Le professeur Slimane Hachi, directeur du CNRPAH abonde dans le même sens : « Nous essayons, avec le ministère de la Culture, de faire connaître, de faire des recherches, de publier, d’éditer et d’intervenir dans la scène culturelle de la nation ». Il impute l’effacement de cet événement historique à « la question de la diffusion de la science, des connaissances et de l’histoire » au sein de la société. Selon lui il ne s’agit pas d’une « exhumation » mais d’une « mise au présent ». « Nous sommes un centre de recherches préhistoriques anthropologiques et historiques dont la mission est de diffuser l’histoire, diffuser tout ce qui a été grand dans ce pays » a-t-il dit. Et de relever : « La Kalaâ n’ath Abbas est un de ces moments, un de ces lieux forts qui représentent notre histoire. On fête le 500e anniversaire de la fondation de ce royaume indépendant au cœur des Bibans, qui s’est étendu jusqu’à Bougie, donc nous avons une histoire longue de plusieurs décennies ». Et de conclure qu’ « Il est important que les Algériens connaissent les hauts faits de leur passé ».