Le Midi Libre - Culture - Il y a absence de culture et de background
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Edition du 25 Septembre 2010



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Trois questions à Ahmed Cheniki, universitaire et critique de théâtre
Il y a absence de culture et de background
25 Septembre 2010

Ahmed Cheniki, 56 ans, est enseignant à l’université d’Annaba. Son intérêt pour le théâtre ne date pas d’aujourd’hui. Il a soutenu, en 1993, à l’université Paris IV en France, une thèse de doctorat sous le titre « Théâtre algérien, Itinéraires et tendances ». Cheniki a publié, en outre, plusieurs ouvrages dont « Le théâtre en Algérie, Histoire et enjeux » chez Edisud, (2002), « Algérie, vérités du théâtre » chez Dar el Gharb (2006). Cet auteur vient du reste de lancer un site Internet dédié à la culture algérienne accessible à l’adresse suivante : « http://cultures-algerie.wifeo.com » mais qui ne sera effectif qu’à partir de la fin du mois de septembre 2010.

Le théâtre algérien est passé par des phases d’évolution successives. Selon vous, par quoi le théâtre d’aujourd’hui diffère-t-il de celui des premières années de l’indépendance ?
J’estime que le théâtre d’aujourd’hui est marqué par une extraordinaire pauvreté. Certes, quelques expériences intéressantes sont tentées, ici et là, mais restent tragiquement isolées. Les pièces présentées manquent souvent de force et de densité. Cela est essentiellement dû à l’absence manifeste de culture et de background théâtral chez beaucoup de ceux qui s’essaient de monter des pièces dans des théâtres d’Etat bloqués, fonctionnant comme des machines administratives, avec des règles obsolètes et des directions nommées à vie, sans projet, ni ligne de conduite, se satisfaisant d’une logique rentière. Beaucoup de monde s’accommode de cette situation rentière. Il faudrait revoir radicalement l’organisation de l’activité théâtrale et culturelle en Algérie. Les premiers textes législatifs de 1963 et de 1970 avaient, au moment de leur promulgation, répondu aux attentes des hommes de théâtre, mais, aujourd’hui, il s’avère que ces textes sont marqués par une certaine obsolescence. Mais l’élément nodal de la pratique théâtrale, c’est la diffusion qui pose sérieusement problème. Ainsi, l’absence du public, ces dernières années, serait liée à plusieurs vecteurs : manque de professionnalisme au niveau de la promotion et des relations publiques, gestion trop bureaucratique de l’entreprise et de l’activité théâtrale, qualité douteuse des produits proposés, manque flagrant de formation des équipes artistiques et techniques, environnement peu ouvert, absence d’une politique culturelle sérieuse… Connaissez-vous un bon metteur en scène par exemple, ou un bon auteur, à une ou deux exceptions près ? C’est un extraordinaire recul. Le départ de Alloula, Kaki, Kateb Yacine, Bouguermouh, Mustapha Kateb et bien d’autres a laissé un vide sidéral, posant sérieusement le problème d’une relève sérieuse. Quelques anciens et de rares nouveaux se trouvent, malgré leur volonté de bien faire et leurs qualités intrinsèques, noyés dans la masse, esseulés, voguant dans un bateau décidément ivre où les pièces du « patron » du TNA, désormais à la page avant son départ, sont reprises partout, comme si on se mettait à découvrir trop tardivement, à la faveur du poste de directeur de Benguettaf, ses qualités d’auteur. Les hommages ne cessent pas. Question simple : pourquoi cet intérêt subit pour cet auteur, après avoir pris les rênes du TNA et du festival du théâtre ? Opportunisme ? Echange de bons procédés ou subite émergence d’un « grand » auteur ? A Annaba, on aurait déjà pris option pour « El Ayta ». « Fatma » est désormais partout.
Il faudrait savoir que, contrairement à cette absence de culture d’une grande partie du personnel du théâtre aujourd’hui où il est presque impossible de parler de théâtre, les gens préfèrant souvent les petits conflits personnels, les premières années de l’indépendance, marquées par un extraordinaire enthousiasme, avaient suscité des moments forts de théâtre. Le théâtre en Algérie eut l’incroyable chance d’être pris en mains par deux véritables hommes de culture, Mohamed Boudia et Mustapha Kateb, qui permirent la mise en place et la définition des fonctions et des objectifs des structures théâtrales. Durant les premières années de l’indépendance, la grande question alimentant tous les débats, s’articulait autour de la fonction du théâtre dans une société ankylosée, exsangue, qui cherchait à récupérer son propre substrat culturel tout en restant ouverte aux changements. Le théâtre, bénéficiant du décret de janvier 63, pris en charge par de vrais hommes de théâtre et de culture, allait permettre au public d’aller voir en grand nombre de pièces de différents horizons, Shakespeare, Calderon, Molière, Brecht, El Hakim, O’Neil, Goldoni, Plaute, Kaki, Safiri, Rouiched… La moyenne des spectateurs, avec place payante, était de 420 spectateurs par représentation. On se déplaçait partout. Les années 1963-65 ont vu l’adaptation d’un certain nombre de pièces. Des textes d’auteurs étrangers ont été joués. Des dramaturges algériens ont écrit pour la scène. Cette période a été, malgré toutes les pressions et les pesanteurs du moment, riche en matière théâtrale. De 1963 à 1965, 982 représentations ont été données devant 441.190 spectateurs. Dix-huit pièces ont été jouées au TNA à Alger. Des débats sérieux étaient organisés. Jusqu’à la fin des années 80, il y avait, malgré tous les problèmes de l’époque, un certain bouillonnement théâtral.

La multiplication des théâtres régionaux traduit-elle une autre vision des pouvoirs publics ? Quel en est l’impact réel sur le terrain ?
Je vous avoue que cela fait une année que je me refuse d’aller dans les théâtres publics, mais pour répondre à votre question, passer du statut de théâtre communal à théâtre régional ne règle nullement le problème, surtout quand on sait que nos théâtres manquent sérieusement de tous les métiers concourant à la mise en œuvre d’un spectacle théâtral. Ce déplacement du communal au régional pose aussi la faillite des commissions culturelles des APC et des APW et trahit une absence de projet culturel global. Une pièce de théâtre est un espace autour duquel et dans lequel s’articulent plusieurs métiers et de nombreux professionnels, du dramaturge au public en passant par le metteur en scène, le décorateur, le machiniste ou le musicien. C’est l’ensemble des médiations qui marquent le passage de l’écriture dramatique à la réalisation concrète qui donne vie au processus de construction et de représentation d’une pièce théâtrale. Tous ces métiers devraient être recyclés en faisant appel à de vrais techniciens européens pour la formation. Ne faut-il pas réfléchir sérieusement à une véritable refonte de la pratique théâtrale en Algérie, encore trop marquée par une gestion trop bureaucratique et une organisation considérée comme tout à fait obsolète, dépassée et anachronique ? L’Etat pourrait bien contribuer à la transformation de cette réalité en partant de la nécessité de faire du théâtre un véritable service public qui interpellerait le ministère de la Culture, les collectivités locales, le monde universitaire et le milieu scolaire.
Le manque de rigueur dans la production et la diffusion théâtrale se traduit surtout par l’absence de structures qui veillent à l’évaluation des manifestations culturelles, (manque de transparence qui permet de dresser des bilans réels, comme c’est le cas de la fameuse «Alger capitale de la culture arabe», le festival panafricain et la subvention allouée au festival du théâtre professionnel ). Il est fondamental de faire connaître les budgets alloués à l’activité théâtrale et à ces manifestations. Jusqu’à présent, nous ne connaissons pas le budget consacré au festival national du théâtre professionnel. La formation est le lieu central de toute possibilité de changement, d’autant plus qu’un spectacle est un tout, convoquant tous les métiers (machinistes, décorateurs, accessoiristes, costumiers, sonoristes…)

Que pensez-vous des partenariats qui se nouent depuis quelques années entre le TNA et les théâtres étrangers ? Nous avons à l’esprit plus particulièrement le théâtre de Marseille…   
L’expérience du théâtre Lenche est très limitée. Il faudrait que le théâtre en Algérie commence à penser à la qualité, à tisser des liens avec de grands théâtres au Maghreb ou à l’étranger. C’est ce que faisait Mustapha Kateb en nouant des liens sérieux avec les troupes de Tunisie, avec Ali Ben Ayed, du Maroc, avec Tayeb Saddiqi et Tayeb El Alj, entre autres auteurs. Mais inviter n’importe quoi parce que c’est étranger, c’est vraiment ridicule et traduit l’absence de culture dont je parlais au début. Dans les années 60, l’Algérie entretenait des relations avec les grands théâtres du Maghreb et de l’étranger, tout en faisant appel à de grands hommes de théâtre pour assurer des stages de recyclage. Les grands de la décentralisation (Planchon, Dasté, Garran), Vitez et bien d’autres passaient régulièrement à Alger. A-t-on vu Saddiqi, Mohamed Driss, Jaibi, Mnouchkine, ou autres auteurs et metteurs en scène de qualité ? Non. S’il vous plait, responsables du théâtre, ne gaspillez pas ainsi l’argent public. Il serait bon de recourir à des troupes étrangères connues et à des techniciens cotés pouvant apporter quelque chose à la pratique scénique en Algérie, non pas continuellement des critiques et des hommes de théâtre de l’étranger qui ont encore beaucoup à apprendre. C’est que, semble t-il, cette manière de faire correspondrait à la logique de l’échange de bons procédés et du retour d’ascenseur.
L.G.

Par : Larbi Graïne

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