Pour indiquer la différence entre Islam et Iman d’une part et "mouslim et moumin" d’autre part il est nécessaire de considérer les cas de figures suivants :
Lorsque les deux termes sont employés en coordination, alors ce que chacun d’eux indique un sens totalement distinct de ce que l’autre indique :
C’est ainsi que, dans le Hadith de Jibril, le Prophète (SAW) a défini l’Islam comme "le fait que tu témoignes qu’il n’est pas de divinité en dehors d’Allah et que Mohammed est le Messager d’Allah, que tu accomplisses la prière, que tu donnes la zakat, que tu jeûnes pendant le mois de Ramadan, et que tu accomplisses le pèlerinage à la Maison si tu peux t’y rendre", alors qu’il y a défini l’iman comme : "le fait que tu croies en Allah, en Ses anges, en Ses Livres, en Ses Envoyés, en le Jour dernier, et que tu croies en le destin".
Le fait est que le sens littéral de "iman" est "le fait de croire (at-tasdîq)", tandis que celui de "Islam" est "le fait de se conformer extérieurement (al-istislâm wa-l-inqiyâd uz-zâhir)" (cf. Shar’h Mouslim, an-Nawawî, 1/145, 148), et ces deux sens réapparaissent quand les deux termes sont employés en coordination, l’un à côté de l’autre : ce que chacun désigne est alors différent de ce que l’autre désigne. "iman" renvoie alors aux croyances, qui sont intérieures, et "Islam" aux actions, qui sont extérieures. Ceci entraîne que tout "moumin" est aussi "mouslim", mais que tout "mouslim" n’est pas forcément «moumin», nous allons le voir ci-dessous...
Lorsque l’un ou l’autre de ces termes est employé seul :
Il y a alors deux cas :
Soit le terme est employé avec la nuance de son sens littéral : dans ce cas, ce que désigne le terme "Islam" est distinct de ce que désigne le terme "iman" de sorte que tout "moumin" soit aussi "mouslim", mais que tout "mouslim" ne soit pas forcément "moumin" :
Parfois, même employés seuls, les termes "Islam" et "iman" gardent en effet une trace de leur sens littéral : l’"iman" est ce qui se trouve dans le cœur, tandis que "Islam" fait référence à l’extérieur uniquement. Etant donné qu’on ne peut témoigner, à propos d’un homme, que de ce qu’il dit et fait apparemment, et non de ce qui se trouve dans son cœur, on peut donc témoigner que quelqu’un est "mouslim", mais non du fait qu’il est "moumin". Le terme "mouslim" n’est ici plus considéré que dans sa littéralité – celui qui, dans le regard des hommes, est entré en Islam – et non plus son sens complet – celui qui est véritablement en Islam, corps et cœur (sens que l’on va voir plus bas). Et le terme "moumin" désigne celui qui croit parfaitement en son cœur.
C’est une fois cette nuance assimilée que l’on pourra comprendre le propos suivant : le Prophète (SAW) privilégiait certaines personnes dans le partage de certaines recettes [d’après une interprétation, il s’agissait du khoums, et il y a la possibilité de partager celui-ci en fonction de la maslaha] ; Saâd ibn Abi Waqqâs, qui était présent, ne comprit pas que le Prophète donnait en réalité à ceux qui étaient encore faibles dans leur foi, afin de gagner davantage leur cœur, et crut que tous les Musulmans y avaient droit ayant remarqué que le Prophète (SAW) n’avait rien donné à Jouâyl, un Musulman des premiers temps, il lui demanda pourquoi il ne lui donnait rien, argumentant : "Je pense bien qu’il est moumin". Le Prophète lui dit : "Ne dis pas "moumin" mais plutôt : "mouslim". Le même propos se répéta plusieurs fois entre Saâd et le Prophète (SAW). Puis ce dernier lui dit : "Saâd, je donne à des personnes alors que ce sont dâutres qui me sont plus chères, de crainte que les premières tombent dans la géhenne" (Fat’h ul-bârî 1/109). Ce qui nous intéresse ici est ce propos du Prophète (SAW) : "Ne dis pas "moumin" mais plutôt : "mouslim" : on note que Saâd n’avait pas utilisé les deux termes "moumin" et "mouslim" côte à côte (comme dans le hadith que nous avons vu plus haut) : il n’avait employé que le mot "moumin" ; malgré tout le Prophète (SAW) lui dit de ne pas utiliser le terme "moumin" mais de lui préférer le terme "mouslim". Le premier est donc général, le second plus particulier toute personne véritablement "moumin" est aussi qualifiée de "mouslim", tandis que certains "mouslims" ne sont pas qualifiés de "moumins", puisque soit ils ne croient pas du tout dans leur cœur, soit leur foi n’est pas complète dans leur cœur (nous allons le voir ci-après).
Un verset du Coran dit (sens du verset) : "Des bédouins ont dit : "Nous avons la foi (iman)". Dis (-leur) : "Vous n’avez pas l’iman, mais dites (plutôt) : "Nous sommes en Islâm". L’Imân nâ pas encore pénétré dans vos cœurs. " (Coran 49/14). Ici encore, les bédouins avaient employé le terme "iman" seul, et on n’est donc pas dans le cas A. Alors, que signifient ces versets qui disent à ces bédouins qu’ils n’ont pas l’iman mais sont seulement en Islam : veulent-ils dire qu’ils sont des hypocrites, dont la conversion à l’Islam n’est qu’apparente, ou signifient-ils autre chose ?
Pour Al-Boukhari, ces bédouins étaient des yypocrites, Musulmans de l’extérieur seulement et dont le cœur était dépourvu de foi (cf. Sahîh oul-Boukhari, kitâb oul-îmân, bâb n° 19) : le verset leur a donc demandé de dire simplement : "Nous sommes en Islâm".
Les hypocrites
Les hypocrites – pris en tant que tels – sont nommés "mouslims", mais ne sont pas "moumin" (cependant nous ne pouvons affirmer, à propos d’un Musulman précis, que son cœur est totalement dépourvu d’iman tant qu’il n’exprime pas ceci par une parole ou par un geste non équivoque). Ibn Taymiyya écrit : "Les oulémas sont d’accord à dire que le nom "mouslim" extérieur est attribué aux Hypocrites, car ils se sont soumis extérieurement et ont effectué ce qu’ils ont effectué dâctions extérieures : prière, aumône, pèlerinage, effort ; cela comme le Prophète () leur appliquait les règles de l’islam extérieur. (Les oulémas) sont d’accord à dire que celui (d’entre les Hypocrites) qui n’a rien de l’ "iman" avec lui, il est comme l’a dit Allah le Très Haut : "Les Hypocrites seront dans le degré le plus bas du Feu"" (Majmû’ ul-fatâwâ 7/350). Il écrit également : "(...) Même les Hypocrites qui cachent leur nifâq, les Musulmans accompliront sur eux la prière funéraire et ils recevront le bain funéraire (musulman) ; les règles extérieures de l’islam auront cours sur eux, comme c’était le cas des Hypocrites à l’époque du Messager d’Allah. Même s’ (il est vrai que) celui qui connaît d’une personne qu’elle est Hypocrite, il ne lui est permis d’accomplir la prière funéraire sur elle, comme il a été interdit au Prophète () d’accomplir la prière funéraire sur celui dont il connaissait l’hypocrisie. Quant à celui dont on a des doutes quant à son état [réel], il est permis d’accomplir la prière funéraire sur lui du moment qu’il est apparemment en Islam, comme le Prophète l’a accomplie sur celui à propos de qui cela ne lui avait pas été interdit et dont il ne connaissait pas l’hypocrisie (...). Mais la prière funéraire accomplie par le Prophète et les moumin sur un Hypocrite ne lui servira à rien (...)" (Majmû’ ul-fatâwâ 24/287-288).
Pour Ibn Kathîr, par contre, les bédouins dont il est question dans les versets suscités "n’étaient pas des Hypocrites". Dès lors, puisqu’un autre verset dit des Hypocrites qu’ils "... ont dit avec leur bouche "Nous avons apporté foi" alors que leur cœur nâ pas apporté foi..." (Coran 5/41), ces bédouins avaient réellement apporté foi. Mais ce que ce verset dit est que ces bédouins possédaient uniquement le minimum de foi dans leur cœur et que la foi ne s’y était pas encore suffisamment développée et profondément enracinée (cf. Tafsîr Ibn Kathîr). C’est cela dont il est question ici : "Vous n’avez pas l’Iman" signifie : "Vous n’avez pas encore l’ Iman complet", comme l’a d’ailleurs dit explicitement la suite du verset : "L’ Iman n’a pas encore pénétré dans vos cœurs". On voit que, d’après cette interprétation, le terme "iman", employé de façon inconditionnelle (mutlaqan), désigne "l’Iman complet". Il s’agit d’un degré, et ces bédouins ne l’avaient pas encore atteint.
Ibn Taymiyya écrit de la posture de l’orthodoxie sounnite à propos du croyant qui fait des péchés qu’elle "ne retire pas de façon inconditionnelle le nom [Iman] et ne l’attribuent pas de façon inconditionnelle; (mais) nous disons : "Il est moumin mais sa foi est incomplète" ou "moumin faisant des péchés" ou "moumin par son Iman, fâssiq par sa kabîra"" (Majmû’ ul-fatâwâ 7/673).
Il en est de même du terme "moumin" : An-Nawawî écrit : "L’approbation ("tasdîq") constitue [avec la proclamation de l’adhésion – "iqrâr"] le premier degré de la foi ; ceci implique pour la personne qu’elle est entrée dans la foi, mais non pas qu’elle en ait nécessairement réalisé tous les degrés ; tant qu’on est à ce stade on n’est pas appelé "moumin" de façon inconditionnelle" (Shar’h Mouslim, 1/147), car cela désigne : "le moumin parfait".
Ceci concerne les termes "iman" et "Moumin". Par contre, on peut employer seuls les noms "Islam" et "Mouslim" sans qu’ils désignent "l’Islam complet" et le "mouslim parfait" (car il faut savoir que si, comme nous venons de le voir, le nom "Islam" désigne parfois "la conversion et la pratique extérieures" seulement, il désigne aussi, d’autres fois, "l’Islam complet" et englobe alors également la foi et la pratique intérieure : nous allons le voir immédiatement).
Soit chacun de ces deux termes est employé pour désigner son sens complet : dans ce cas, chacun de ces deux termes, "Islam" et "Iman", désigne la même chose que ce que l’autre désigne (humâ mutassâwiyân)
Un verset coranique dit (sens du verset) ainsi : "Ils te font la faveur qu’ils sont entrés en islam. Dis : "Ne faites pas la faveur sur moi de votre Islam ; mais plutôt Allah vous fait la faveur de vous avoir guidé vers l’iman, si vous êtes véridiques"" (Coran: 49/17). Un autre verset dit (sens du verset) : "Nous avons fait sortir les mouminoun qui s’y trouvaient. Nous n’y trouvâmes alors rien qu’une maisonnée de mouslimoun" (Coran : 51/35). (Voir entre autres Al-Muhallâ, masâla n° 75.)
Un autre verset encore dit (sens du verset): "Le "dîn" auprès d’Allah est l’islam" (Coran 3/151). Quand il est dit que l’adhésion à l’Islam sera la cause du salut dans l’au-delà, il ne s’agit sûrement pas d’un islam prononcé du bout des lèvres sans que ne l’accompagne aucune foi dans le cœur ; il s’agit, tout au contraire, de l’Islam complet – c’est-à-dire de corps et de cœur – ; dès lors, cela revient à la même chose que "iman".
Parfois encore, les termes "iman" et "Islam" sont à appréhender dans un sens figuré :
Le terme "iman" peut ainsi désigner : "La forte empreinte de la foi", ou : "De nombreux musulmans".
Ainsi, une interprétation du Hadith "L’"iman" se réfugiera à Médine" (Al-Boukhari et Mouslim) est qu’il y est question de l’époque où surviendront de grandes difficultés.
- Il est possible que le terme "iman" désigne ici "l’empreinte de l’iman" : c’est-à-dire qu’en ces temps-là, dans les pays musulmans aussi la foi aura une très faible empreinte, et elle n’aura d’empreinte conséquente qu’à Médine.
- Dâprès ’Alî al-qârî, le terme "iman" signifie ici : "les gens de l’iman" (cf. Mirqât ul-mafâtîh 1/234).
Quelle que soit l’interprétation reconnue, il est à noter en passant que le lieu ici concerné pourrait être non pas seulement Médine mais aussi ses environs, c’est-à-dire la Mecque ainsi que la région où se situent ces deux cités ; ceci correspondrait alors à l’autre hadîth où on lit : "Le "dîn" se réfugiera au Hedjaz" (at-Tirmidhî 2630) (cf. Mirqât ul-mafâtîh 1/234, 246).
Pareillement, le terme "Islam" peut signifier parfois : "l’ensemble des Musulmans".
C’est avec ce sens qu’il se comprend dans cette parole de Saâd ibn Abî Waqqâs : "J’ai été pendant sept jours le tiers de l’Islam" (Al-Boukhari) ; il voulait dire "le tiers des Musulmans alors existant", c’est-à-dire que, selon sa perception, ou en tant que personne majeure et libre, il était l’une des trois seules personnes à avoir embrassé l’Islam.