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Edition du 21 Août 2010



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Abdelkader Bendamèche, commissaire du Festival national du chaâbi
«Le Festival de chaâbi n’est pas une cérémonie de mariage»
21 Août 2010

Abdelkader Bendamèche, 61 ans, natif de Mazagran (Mostaganem) est le commissaire du Festival national de la chanson chaâbie. Fonctionnaire de l’Etat, cet homme simple et très affable, est aussi un artiste invétéré qui écume en « taupe » les administrations algériennes afin, dit-il, d’élargir le territoire de l’émotion. Il est rare d’entendre de la bouche des responsables algériens d’aussi douces paroles que « Khir fi ma khtar Allah », (il y a du bon dans ce que Dieu a décidé, NDLR) qu’on évoque avec eux la question du financement. « On n’a pas besoin de beaucoup d’argent » voilà ce que nous dit ce sage du chaâbi. Nous l’avons rencontré à l’Institut national supérieur de Musique d’Alger à la Place des Martyrs.

Midi Libre : Nous sommes à quelques jours du Festival national du chaâbi, y a-t-il des nouveautés cette année ?
Abdelkader Bendamèche : Cette année, nous avons axé un peu plus que les autres années sur la pédagogie, nous prévoyons des journées pédagogiques à l’intention des finalistes, c’est-à-dire des jeunes candidats, mais aussi à l’intention des auditeurs libres. Nous ouvrons les portes à tous ceux qui voudraient bien venir, aux mélomanes, aux gens qui aiment le chaâbi, afin d’assister à des cours magistraux sur ce genre musical ancestral qu’ils pourront étudier sous ses différents aspects, chant malhoun, etc. La nouveauté réside dans le fait qu’on a rendu obligatoire la participation à ces journées pédagogiques prévues du 25 au 30 août. Les cours sont sanctionnés par une note qui peut peser dans le décompte final du candidat. Cela d’une part. D’autre part, nous avons élargi le champ de l’expression du Festival, jusqu’ici limité au théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, il est vrai que celui-ci est un espace mythique extrêmement important dans la mesure où les Algériens y ont vécu, depuis au moins un siècle, des moments fabuleux, culturellement et artistiquement parlant, donc je disais que nous avons élargi le champ d’expression à l’espace Fadéla-Djziria, qui se trouve à l’Institut national supérieur de musique, c’est un magnifique théâtre de plein air. Ceci va nous permettre d’éclater le festival, de le ramener au plus près des Algérois dans ce quartier de la capitale, qui est l’entrée de Bab El-Oued et qui est un peu adjacent à la place des Martyrs. C’est le quartier populeux par excellence. Cette musique est populaire, elle va vers la population, nous considérons l’ouverture de l’espace Fadéla-Dziria, comme un gage de solidarité avec le public. Nous ferons peut-être un effort supplémentaire l’année prochaine. En tous les cas cette année cet espace sera ouvert aux candidats qui disposeront ainsi d’une seconde chance au cas où ils rateraient leur sortie au TNA. Les candidats auront donc une seconde chance pour se rattraper, puisqu’ils auront une deuxième note qui appréciera leur prestation au théâtre Fadéla-Dziria. A ce niveau, il y aura un autre orchestre, un autre public et un autre jury. Nous avons constaté que beaucoup de jeunes lorsqu’ils arrivent au TNA sont paralysés par le trac, alors que souvent ils sont brillants, c’est dire que ce n’est pas évident pour un candidat de faire étalage de son talent. L’institution est imposante, il y a de l’émotion, de la peur, il y a le minutage, la solennité du jury national, l’exigence d’un public sérieux, le velours du théâtre, cette atmosphère un peu terrible, les artistes débutants la ressentent plus que nous. Nous avons tenu compte de tout ça. Grâce à l’Institut national supérieur de musique, nous leur avons aménagé cet autre espace moins « solennel », qui va aussi permettre l’animation dont va tirer profit la population riveraine.

Qui dit chaâbi dit Casbah, pourquoi n’avez-vous pas pensé à faire des récitals chaâbi en pleine Casbah ?
Ça peut venir, La Casbah est notre allié naturel, tous les grands maîtres sont nés dans la vieille cité. Le chaâbi y a vécu ses moments de grande gloire. Mais il ne faut pas oublier les autres casbahs, celle de Béjaïa, de Mostaganem et d’Annaba, il ne faut pas oublier les quartiers populaires, les cités historiques, qui ont aussi connu ce genre musical traditionnel. Nous avons également des alliés physiques qui sont l’association culturelle des amis de la rampe Louni-Arezki et l’Association des amis de Sidi Abderrahmane. C’est avec qu’eux que parfois nous faisons des incursions au sein de La Casbah, ou dar El Manzah, où nous faisons des hommages. L’année dernière, nous avons honoré la mémoire de Hadj M’Rizek, nous l’avons fait en plein cœur de La Casbah. Il ne faut pas oublier que de là où je vous parle, nous sommes en plein centre de La Casbah, c’est vrai que ça a été défiguré par la France.

Est-ce que vous pourriez dire un mot sur le jury ?
Le président du jury, c’est El Hadj Boudjemâa El-Ankis. Dans ce genre musical, on doit tenir compte de la dimension historique, de la représentativité, du respect dû aux anciens, et du respect dû à la pratique de ce genre ancestral. Il s’agit de mémoire et d’identité, donc ce genre musical aborde ces aspects quotidiennement. Hadj Boudjemâa El-Ankis est cette figure idoine, incontournable. On a commencé avec lui, on continuera avec lui cette année, c’est l’hommage que nous lui consacrons. Nous disons aux jeunes, même si Hadj Boudjemâa El-Ankis a été honoré plusieurs fois par sa ville, Tizi-Ouzou, et également par Alger, plusieurs fois aussi, cette année, ce sont les jeunes, les nouveaux talents de la nouvelle génération de chanteurs chaâbi, qui vont l’honorer pour lui dire vous avez bien fait les choses, vous nous avez remis le flambeau, soyez certain que nous allons continuer l’œuvre que vous aviez entamée, c’est un peu ce message qu’on voudrait délivrer. Nous rendons aussi hommage à Maâzouz Bouadjadj qui nous vient de Mostaganem, qui a fait date dans la chanson chaâbie, à Cheikh Hssissen également. Vous savez depuis l’Indépendance jusqu’à aujourd’hui, Hssissen n’a jamais eu les faveurs des projecteurs. C’est la première fois qu’on le sort, c’est un moudjahid de la 1ère heure, il faisait partie de la troupe artistique du FLN, il est mort en 1958 à Tunis, et il a été inhumé au cimetière El Djelaz. Avec l’aide des amis des associations Sidi-Abderrahmane et de la Rampe Arezki, nous allons lui rendre hommage pour dire aux autorités de ce pays, que ce monsieur est un moudjahid, et qu’on souhaite le voir réinhumé à Alger, Hssissen est mort avec le rêve que l’Algérie devienne indépendante. C’est le moindre hommage qu’on puisse lui rendre. Hssissen a été un génie à sa manière, il a été formé par Amraoui Missoum, lequel a jeté les bases de la chanson moderne algérienne. Hssissen a chanté dans les deux langues (arabe et kabyle, NDLR) avec un bonheur incommensurable. Il a chanté « A yul izegren lebhar » « A Tir al qafs » dans les mêmes conditions et avec le même succès que « Litelha bhamou » ou d’autres « Senqala » ou d’autres titres, surtout « Nhar ldjemâa rah tiri ou hkem laâlali » qui est devenu un succès éternel, emblématique de la chanson proprement chaâbie. Voilà un homme qui chantait dans les deux langues facilement, c’est un modèle dont les artistes d’aujourd’hui doivent s’inspirer.

Est-ce que le Festival a défini un prototype idéal de l’artiste chaâbi, celui-ci doit être traditionnel ou bien peut-il intégrer des aspects de la modernité ?
La démarche du Festival de la chanson chaabie, s’inscrit dans un programme de cinq années, nous nous inscrivons dans l’axe de la création, du renouveau de la chanson chaâbie. Le chanteur modèle s’incarne dans Ahcene Saïd, dans Hadj M’Rizek, dans Amar Lâacheb, etc. Le chaâbi, ce n’est pas les bas-fonds, c’est l’identité, c’est l’intime, l’égo, c’est la morale, c’est l’histoire, c’est la religion. Si cette dimension traditionnelle du chaâbi existe depuis un siècle, elle l’est tout autant aujourd’hui, même si elle épouse les contours d’une musique moderne. On continue de s’exprimer, de chanter son pays, l’amour, la beauté. La modernité en réalité a été intégrée par El Hadj Mhamed El Anka dès les années 20, puis d’autres ont continué dans la même veine comme Boujemaâ El Ankis, Hssissen, Mahboub Bati vers les années 70. Aujourd’hui nous voulons que les jeunes sachent qui étaient les premiers de cordée. Il faut penser à l’avenir, si on ne fait rien, autre chose va s’installer, ce sera à coup sûr la médiocrité.

Vous êtes aussi artiste mais en même temps théoricien, que vous inspire cette singularité si on peut s’exprimer ainsi ?
Oui… Je suis sorti de l’Ecole nationale d’Administration, j’ai fait une longue carrière dans l’administration, j’ai écrit beaucoup de livres dans le domaine, mais ma condition de chanteur chaâbi vit toujours en moi. Je suis toujours cet artiste interprète et également l’organisateur, le fonctionnaire-commis de l’Etat. Mais je mets mon expérience, ma façon de voir particulière, j’essaye d’appliquer même une démarche scientifique qui j’estime doit s’appliquer aussi au chaâbi. En écrivant des livres, en faisant des actions administratives, politiques ou institutionnelles qui puissent ajouter un bras à l’organisation, j’ai voulu que l’artiste qui est en moi s’exprime autrement. On ne fait pas un festival du chaâbi en mettant sur scène des chanteurs et un public qui va venir pour y assister. Ce n’est pas une cérémonie de mariage. Le festival est ouvert à tous les Algériens de toutes les régions. Ils y trouveront un espace, ils y seront admis pour peu qu’ils soient bons.

Est-ce que l’argent que vous recevez pour la couverture des frais du festival suffit ?
Ecoutez, n’importe quelle enveloppe financière ne peut convenir à quelque manifestation que ce soit. Ça ne suffit jamais. Heureusement nous faisons fonctionner notre institution avec parcimonie, nous ne sommes pas des gaspilleurs. Pour autant nous sommes des gens qui donnons des prix en numéraires, mais nous faisons les choses correctement. Tous les musiciens qui travaillent avec nous sont payés, à vrai dire on n’a pas besoin de beaucoup d’argent. Si on décide de nous en donner plus, « mrahba bihoum » (nous ne dirons pas non, NDLR). « Khir fi ma khtar Allah », (il y a du bon dans ce que Dieu a décidé, NDLR). Nous avons traversé des moments terribles, la première année nous n’avons pas eu du budget. La 3e année également puisqu’elle a coïncidé avec le Festival panafricain, nous étions obligés de faire des demi-finales à l’ombre de ce Festival. Ça a grevé notre bourse. Nous avons fait une autre finale comme il se doit avec les moyens de bord, parce que là, nous avons affaire, au cœur, à l’émotion que nous créons. Que l’argent vienne à manquer, ce n’est pas grave, moi je prends plaisir à faire un festival pour dire notre culture, notre musique et notre identité, et j’en suis fier. L. G.

Par : PROPOS RECUEILLIS PAR LARBI GRAÏNE

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