Réalisateur, écrivain, poète et journaliste, Eric Sarner est l’une des figures publiques œuvrant dans des domaines multiples littéraire et audiovisuel. Il est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages ainsi que de nombreux poèmes, textes ou articles édités dans des revues. Il a été récemment traduit Complainte pour Ignacio Sanchez Mejias de F. G. Lorca et les poèmes La Ultima Antologia d’Idea Vilariño». En tant que documentariste, il a signé une vingtaine de documentaires dans les domaines de la culture et du voyage. Se trouvant depuis quelques jours en Algérie, Eric Sarner sillonne plusieurs villes, cherchant les traces d’un poète et écrivain ayant marqué le XXème siècle : Jean Sénac. Une recherche qui sera couronnée par la réalisation d’un film-documentaire Sénac, Jean, algérien, Poète.
Midi Libre : En tant qu’écrivain, poète et bien évidemment cinéaste quel regard portez-vous sur le parcours de Jean Sénac ?
Eric Sarner : Eh bien, pour moi, il y a plusieurs choses dans la vie de Sénac qui me touche, notamment le rapport à l’Espagne et évidemment le rapport à l’Algérie, d’autant plus que je suis moi-même né à Alger, sans oublier le rapport à la langue au sens littéraire du terme, c’est-à-dire le travail sur la langue, le rapport à la sensibilité et le lyrisme. Parce que j’écris des poèmes et souvent en France, aujourd’hui, disant les vingt ou les trente dernières années du XXème siècle, on se méfiait beaucoup du lyrisme. On a considéré, peut-être, que le poète devait être plus mental, travaillant dans une sorte de laboratoire.
Sénac, lui, parle de façon très écorchée, très tripale comme on dit. J’ai trouvé que cela me touche beaucoup, d’être aussi proche de sa sensibilité, tout en faisant un travail de mise en forme aussi pointu et extrêmement élaboré et en osant le dire.
Justement en parlant de la poésie, de la poétique et du lyrisme, nous trouvons chez Sénac dans diverses poésies, la conception du voyage, en tant que réalisateur et poète qui a longuement travaillé autour de ce thème dans «La passe du vent» et «La Route 66 : Petites fictions d’Amérique», que pensez-vous de sa poésie ?
Pour moi tout est voyage. Sénac est très proche de la nature. Et nous trouvons justement dans ses poésies le lexique du voyage. Chez Sénac nous remarquons une suite d’écrits qui sont à chaque fois des voyage. Moi personnellement, je trouve que tout ce qui nous entoure est un voyage : écrire un poème est un voyage, l’amour est un voyage, évidemment la vie est un voyage ce n’est pas qui l’a inventé, la création est un voyage et même préparé une recette de cuisine en est un. Je veux dire qu’il y a un départ vers quelque chose d’inconnu. Je crois que c’est cela qui caractérise le voyage. Pourquoi j’ai rappelé que la vie est un voyage car on ne sait pas ce qu’on va trouver au long de la route. Sénac au fond aussi parlait de cela. Il a des convictions politiques, il a des convictions par rapport à ce que doit être la vie et ce que doit être l’Homme dans sa dimension collective. Mais en même temps, Sénac savait qu’on va de surprise en surprise et on ne sait pas quant est-ce que cela va se terminer. Et c’est cela le voyage. C’est pour cela que je suis très proche de ce thème et il me porte constamment.
Serait-ce un voyage que vous proposerez à travers votre prochain documentaire ?
Bien sûr. Comme je l’ai déjà dis, un travail artistique est un voyage. Par exemple, en ce moment je suis en train de préparer ce film sur Sénac donc je vais sur les lieux qu’a connu le poète, sur les lieux où il a vécu. C’est une sorte de suite de voyage, ce petit voyage dans la vie de quelqu’un. Et ce que je vais essayer de faire, c’est de rapporter cet itinéraire là.
On n’est pas obligé de commencer au début et finir à la fin. On peut essayer de raconter un personnage au travers de quelques moments qui ne seront même pas dans l’ordre. Ce sera comme une balade, une promenade dans la vie de quelqu’un.
Je ne cherche pas à travers mon travail à être exhaustif. On ne peut penser qu’un film d’une heure va être l’équivalent d’une biographie complète. Donc si j’arrive à faire sentir que cet homme s’est passionné pour la vie, s’est passionné pour la création, qu’il a touché à plusieurs choses, qu’il a rencontré des hommes et des femmes, et la politique, et le voyage…
Je serai heureux à ce moment là car j’aurai peut-être touché quelques personnes qui iront plus loin de leur côté.
Faire le portait de Sénac n’est pas chose facile, je vous l’accorde, d’autant plus que plusieurs polémiques ont eu lieu autour de «Hors-la-loi» et autour de l’écrivain Albert Camus. Alors à travers votre documentaire, Sénac serait-il algérien ou français ?
Ah c’est là une grande, grande question.
Alors je voudrai bien avoir une grande, grande réponse
(Rires). Réellement, Sénac disait «je suis entre deux feus entre deux grandes choses».
Il est à la fois français et algérien. Moi aussi. Même si comme lui, je ne suis pas resté en Algérie, d’abord j’étais trop jeune et mes parents m’ont emmené en France. Reste qu’une partie de mon cœur est ici, en Algérie, avec vous. Une grande partie du cœur de Sénac était ici en Algérie. Alors est-ce qu’il faut vraiment choisir ? Est-ce qu’on ne peut pas aimer le chocolat et la pomme de terre ? Oui, on peut. Je crois que l’homme est multiple.
Je sais bien que je suis dans un pays jeune, en train de s’affirmer, de retrouver ses traces, son histoire. Je dis cela, bien que je sache que peut-être c’est plus facile pour moi car je ne suis pas algérien, mais français, je crois que les gens et les nations sont multiple. Je dis cela par rapport aux individus car moi je me trouve français, mais pas seulement français, parfois j’ai envie d’aller vivre dans le nord de l’Europe, alors que j’aime le soleil. Nous sommes contradictoires. Et plus nous le sommes et plus nous sommes riches. Je comprends que l’Algérie ait décidé de mettre de côté, dans un passé récent, ce qui n’était pas son identité profonde, algérienne, berbère, arabo-musulmane. Mais je crois qu’un jour il faudrait qu’il reconnaisse que c’est plus complexe que cela. Il y a d’autres éléments qui apparaissent contradictoires, mais qui font la richesse d’un pays. Je ne crois pas avoir triché avec la question avec Sénac. Je crois que non. Mais il était multiple lui aussi. Sénac était à la fois français et algérien. Sénac aimait beaucoup Lorca. Ce dernier a dit : "Lorsque j’étais à New York, je me suis rendu compte que j’étais noir, que j’étais juif, que j’étais gitan, que j’étais espagnol, que j’étais américain, que j’étais en somme nombreux".
Le réalisateur Abdelkrim Bahloul avait réalisé en 2005 un film de fiction «Le Soleil assassiné», en s’inspirant de la vie de Sénac, comment trouvez-vous ce long-métrage ?
Je ne connais pas M. Bahloul. Mais j’ai vu son film. Personnellement, je n’ai pas reconnu Sénac dans ce film. Mais je dois dire que les amis auxquels je l’ai montré et qui ne connaissait pas Jean Sénac, m’ont dit «au moins en comprend que cet homme et sa vie ont été intéressants». Donc je dirais bravo à Bahloul car au moins on comprend la vie de Sénac. Certes je ne reconnais pas mon Sénac à moi, mais il a au moins le mérite d’inciter les gens à s’intéresser au personnage.
Pour votre documentaire, avez-vous sollicité une subvention de l’Algérie ?
Non, il n’y a pas eu de demande de subvention. Je me suis adressé à une production française. Je ne pense pas qu’il ait fait une demande, je serai autrement au courant. Peut-être qu’il y aura, ou peut-être même tout simplement qu’il y aura un intérêt pour ce film de la part des chaînes de télévision algériennes et qu’ils pourront l’acheter bien évidemment. Avant le film, en amont comme en dit, il n’y a pas eu de demande officielle faite.
Le tournage et de ce documentaire ainsi que l’accréditation ont-ils été aisés en Algérie ?
Oui grâce à Valérie Guinfolleau qui nous a beaucoup aidé. Car c’est difficile d’arriver de France, quel que soit le sujet sur lequel on veut travailler et tourner. Valérie a été une interface très utile et très passionnée par le sujet. Elle nous a facilité les contacts et les autorisations.
Pourquoi aviez-vous choisi ce moment pour travailler autour de Sénac ?
C’est un petit peu fortuit. Car il y a trois ans, je suis venu en Algérie. J’avais eu, comme on l’appelle en France, la mission Stendhal qui consiste en une petite bourse que l’Etat français donne à quelqu’un qui a un projet à l’étranger. J’avais alors proposé un livre sur jean Sénac. Alors je suis venu ici, j’ai écris et préparé le livre, mais malheureusement au moment où mon livre a été prêt, l’éditeur français qui devait le publier a fait faillite. Ce n’est pas perdu pour autant, puisque le manuscrit existe, peut-être Barzakh va-t-il s’intéresser à ce livre.
Puis un jour, je me suis dis, pourquoi ne pas faire une adaptation en vidéo à partir du livre et ma passion pour Sénac.
Nous avons remarqué que vous avez travaillez à partir d’archives et
d’entretiens avec des intellectuels algériens. Réservez-vous une surprise aux spectateurs ?
J’ai vraiment fait le choix de rencontrer des gens qui ont connu Sénac. Pas seulement des professeurs capables de parler de Jean Sénac, de faire une conférence sur le poète. Je voulais rendre Sénac vivant.
Donc j’ai interviewé le fils adoptif de Sénac, Jacques Miel, qui habite près à Grenoble en France, puis un jeune poète algérien Habib Tangour, qui habite en France
À travers ce travail, Eric Sarner espère-t-il élucider l’assassinat de Sénac ?
Avec la permission de son fils, Jacques Miel, peut-être vais-je raconter ce que ce dernier pense. Ce n’est pas quelques chose de très politique.
D’après Jacques Miel, ce n’est pas aussi politique qu’on l’a pensé. C’est plus bien plus bête que cela, il s’agirait presque d’un accident.