Le cinéma, vecteur par excellence d’expressions multiples, pouvait contribuer à la lecture du réel en proposant d’aller vers l’autre, vers sa culture en s’adressant à la raison et au cœur. Mais les cinéastes français ont toujours éprouvé mille difficultés à restituer les images de la Guerre d’Algérie.
Il y a beaucoup de différences entre Cannes de l’année 1975 qui a vu la consécration du premier film algérien Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina (palme d’or) et Cannes 2010 puisque celle-ci laisse planer la menace d’excommunication sur le seul film algérien retenu en compétition depuis trente ans et ce, avant même sa présentation devant le jury. Quelque part, on a tout fait pour disqualifier Hors-la loi de Rachid Bouchareb. La levée de boucliers le visant survient au moment où le débat en France se focalise sur des histoires de "burqas" et de voiles et sur les modalités à concevoir quant à la gestion des flux migratoires provenant d’Afrique du Nord et surtout d’Algérie. C’est bien sûr la mémoire de la Guerre d’Algérie qui pose problème. La tendance sur la rive Nord de la Méditerranée est d’associer l’image de l’ex-colonie à l’islam fondamentaliste, de manière à faire confondre notre pays avec une contrée de fanatiques, Le Pen ne nous contredira pas là-dessus. La loi du 23 février 2005 qui a fait les louanges de la «colonisation positive» a donné une assise légale à cet ostracisme qui ne dit pas son nom. On a même rapporté l’information selon laquelle le président français Nicolas Sarkozy a voulu voir le film de Rachid Bouchareb avant son admission au festival de Cannes !
Pour autant il y a à peine quelques années ce même Bouchareb triomphait avec le film Indigènes, qui a réalisé plus de trois millions d’entrées. Le succès fut fulgurant aussi bien au cinéma, à la télévision qu’en DVD. Un tel engouement pour Indigènes traduisait en fait le consensus qui s’est fait jour au sein de la société française autour du rôle joué par les Algériens dans la libération de la France. Il est plus facile de faire des films sur les Algériens qui sont morts pour la France que sur les Algériens qui sont morts pour l’Algérie contre la France.
Hors-la loi est-il un film algérien ou français ?
Dans la foulée de la polémique qui est apparue autour de Hors-la loi des parties ont dénié au film de Bouchareb la nationalité algérienne au motif que le film en question a été en gros financé sur des fonds français et européens, la contribution algérienne étant dérisoire. La question est mal posée, ou bien elle est pernicieusement posée car la nationalité du film n’enlève rien à la problématique soulevé par le film : le comportement de la France durant la Guerre d’Algérie. Si le film est français et qu’il traite du passé colonial, il aura un contenu tout aussi dérangeant et gênant que s’il était algérien. Hors-la loi dérange par ce qu’il montre et non pas par sa nationalité. La nationalité ne sera prise en compte que dans le cas où le film est primé car c’est à son crédit que le prix sera décerné. On dira alors soit c’est l’Algérie qui a décroché la palme d’or soit c’est la France.
Hors-la loi traite-t-il des massacres du 8 Mai 1945 ?
Autre assertion qui a alimenté la polémique visant le film de Bouchareb, c’est celle qui le présente comme un film traitant en premier lieu des massacres du 8 Mai 1945 dans la région de Sétif. Mais démenti du réalisateur : le film traite d’une période plus longue embrassant presque l’ensemble de la séquence coloniale. Là aussi la question est mal posée. Car s’il n’y a pas de période coloniale plus clémente qu’une autre ou moins barbare qu’une autre, la nuit coloniale étant une et indivisible, elle a duré 130 années, de juillet 1830 à juillet 1962. C’est la peur des cadavres algériens qui se sont entassés durant les 130 années de colonisation qui fait déporter l’attention sur 8 Mai 1945. La guerre n’était pas encore enclenchée au moment des événements sanglants qui avaient ébranlé la région de Sétif. Mais c’est surtout la Guerre d’Algérie, qui rappelle la perte définitive de l’Algérie française qui hante les esprits.
Pourtant si on revient à Chronique des années de braise on se rend compte qu’à l’instar de Hors-la loi ce film traite lui aussi de la période coloniale, mais il diffère de lui par le fait que le récit qu’il met en scène prend fin en novembre 1954 et n’aborde pas par conséquent la Guerre d’Indépendance proprement dite. Les scènes se focalisent plutôt sur la vie paysanne et sur des personnages minés par la misère.
L’absence d’images
Le cinéma vecteur par excellence d’expressions multiples pouvait contribuer à la lecture du réel en proposant d’aller vers l’autre, vers sa culture en s’adressant à la raison et au cœur. Les cinéastes français ont toujours éprouvé mille difficultés à restituer les images de la Guerre d’Algérie. Cette guerre qui a été des plus atroces n’a pas laissé de trace dans le cinéma français. En 2004 on comptait une quarantaine de films de fiction relatifs à cet épisode historique. L’ensemble de ces films élude la guerre tout en faisant mine de la raconter. La Guerre d’Algérie n’est pas vraiment montrée car ce qu’on raconte concerne l’«avant» et l’«après»-guerre selon une étude de l’historien Benjamin Stora.
Et revoilà la violence...
Il faut attendre le milieu des années 2000 pour voir apparaître une évolution dans le cinéma français. Ainsi L’Ennemi intime de Florent-Emilio Siri (2007) inaugure une nouvelle série de films sur la Guerre d’indépendance algérienne. On voit de gros plans sur les massacres de villageois, les tortures commises par l’armée coloniale sur les Algériens à tel point qu’on croirait que la France s’est enfin décidée à se regarder dans le miroir. Mais toutes ces images violentes renvoyaient en fait à la réalité de l’Algérie de la décennie noire ravagée par le terrorisme. Comme si la mise en parallèle de ces deux périodes pouvait justifier sinon disculper le colonialisme qui y parait comme la résultante d’un engrenage entre deux camps belligérants enfoncés dans un cycle de vengeance.
Pas de succès pour les films traitant de la guerre d’Algérie
Un cinéma plus soucieux d’accorder à l’ancien colonisé sa véritable place apparaît avec le film La Trahison de Philippe Faucon (2006) qui signe un récit plus proche de la réalité historique. Malgré la bonne critique qu’il a reçu, le film n’a pas pour autant obtenu le succès commercial. Il a été vu à peine par 200 mille spectateurs durant le premier mois d’exploitation. Quant à Laurent Herbert qui a réalisé Mon Colonel (2006), il a essuyé un échec sans appel.
Quid des populations immigrées ?
On ne saurait occulter les immigrées de la troisième génération qui n’ont eu de cesse d’exprimer le besoin d’histoire. Le manque qu’ils ressentent vis-à-vis de la connaissance du passé de leurs parents, s’inscrit déjà dans ce qu’on appelle la guerre des mémoires. Disons que Rachid Bouchareb en tant que représentant de cette frange de la population tente à sa manière d’y engager sa bataille.