Le Midi Libre - Culture - «Je ne fais pas de films sur les gens, je fais des films avec les gens»
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Edition du 11 Avril 2010



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Malek Bensmail, réalisateur au midi libre
«Je ne fais pas de films sur les gens, je fais des films avec les gens»
11 Avril 2010

Rencontré en marge de l’avant-première à Paris de son dernier film, Malek Bensmail répond à nos questions en confirmant sa volonté de parler autrement de la problématique complexe de l’identité algérienne et de la transmission de la mémoire. Un beau film dont la sortie est prévue le 28 avril et qui apporte un souffle rafraîchissant au cinéma algérien grâce à la prestation d’acteurs amateurs et d’une réalisation dépouillée des gros clichés qui pèsent d’habitude sur les films dédiés à l’Histoire et la mémoire. Un film à voir aussi pour les paysages, très bien rendus, des Aurès.

Votre film "la Chine est loin" peut être regardé comme un hommage aux "transmetteurs" du savoir comme les deux institeurs ou une analyse de la dilution de la mémoire des peuples. Quelle lecture préférez-vous?
Les deux probablement. L’école est, me semble-t-il, le nœud gordien de la problématique d’évolution d’un pays. Près d’un demi-siècle après l’indépendance, l’Algérie est vraiment loin d’avoir résolu la question lancinante de son identité : guerre des langues bien sûr, mais aussi effondrement des idéologies, écroulement des mythes du socialisme et du nationalisme arabe, montée de l’islamisme, esprit de revanche sur la francophonie, déni des réalités historiques et culturelles. L’Algérie post-indépendante, dans la continuité de l’aliénation et de l’acculturation de son peuple a renforcé (peut-être inconsciemment ?) une autre domination sous couvert de récupération d’une « identité arabo-musulmane ». Il s’agit là d’éléments de réflexion et de recherches qui ont nourri mon désir de tourner ce film. La transmission, la civilisation, le juste équilibre des traditions et de la modernité, la vérité sur l’Histoire, le choix des langues enseignées… On ne naît pas islamiste, terroriste, ni nationaliste, on le devient ! J’ai pensé alors que « l’enfance », l’apprentissage, la transmission seraient probablement les thèmes forts de mon prochain film documentaire.

Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer le témoignage du moudjahid qui a tiré en 1954 sur l’instituteur français ?
C’était important de retrouver ce moudjahid. Il reflète une histoire, l’Histoire. Son témoignage est d’une importance cruciale. Il met en relief l’origine même de cet attentat. C’était une bavure et non un acte prémédité...Le 1er novembre 1954, l’attentat du couple des instituteurs Monnerot, a été déterminant pour le choix de mon décor principal et de l’école. Je trouvais intéressant de partir de cet attentat pour évoquer aussi bien la grande histoire que celle de l’acte déclencheur. Comment a t-il été organisé ? Dans quel contexte ? Pourquoi un couple d’instituteurs ? Comment ce village « berceau de la révolution », vit-il réellement cette histoire ? La classe où j’ai tourné était celle où le couple Monnerot enseignait, mais les instituteurs le savaient à peine. Ça fait partie de l’amnésie de notre histoire. On enseigne la grande histoire, le mythe de la révolution, mais on ne raconte pas les détails alors que la région a été très riche en combattants. Durant mon tournage, j’ai tenté de raviver l’Histoire. Ce vieux moudjahid m’a beaucoup touché, il a sorti des vieilles photos, il tremblait mais il ne voulait pas parler et pourtant il avait tellement de choses à dire. Ça a été très difficile de le convaincre. Après de longues conversations, il a accepté de faire cet entretien. Il y a comme ça une multitude de vrais combattants, qui ne sont pas "les officiels", dont on n’enregistre aucune mémoire.

Outre les paysages magnifiques des Aurès, vous montrez des Algériens loin des clichés habituels-désabusés, paresseux etc- est-ce une démarche délibérément positive ou la réalité d’une autre Algérie ?
L’Algérie est un pays qui, à travers son histoire, a connu une succession de traumatismes, de nombreuses conquêtes et une longue et violente colonisation. Cependant, le peuple algérien a vécu plusieurs expériences dont il est sorti grandi. Ce sont les pouvoirs successifs qui ne l’ont pas entendu. J’ai le souvenir d’une terre parvenue en son temps à un équilibre avec le culturel, la tradition, avec l’islam, celui de mes grands-parents, celui de la sérénité… mais je ne souhaite pas enfermer l’Algérie dans un territoire dont le destin serait voué à sombrer. Non. Tant qu’il y a l’homme avec un grand « H »et son humanité, il y aura de l’espoir. Je crois au peuple et à la jeunesse bien que mon cinéma soit marqué par une mélancolie : je veux humaniser les exclus, ceux qui sont frappés par la pauvreté, ceux qui sont à genoux, afin de leur donner la parole, révéler une dignité et leur ouvrir une fenêtre. Ma démarche est, de plus, celle d’un travail de mémoire. Nous avons grand besoin d’une mémoire contemporaine destinée à nos enfants ! Il faut montrer une Algérie en vie, une Algérie qui se cherche, mais qui soulève aussi des problématiques importantes. Et le documentaire doit traduire une réalité sociale, culturelle, politique. Le documentaire est un cri. Il faut pouvoir l’entendre.

De symboles en métaphores, vous faites tout de même la critique de cette Algérie qui néglige son patrimoine et marginalise ses anciens moudjahidine, ses femmes et ses anciens. Un constat auquel vous ne proposez pas de solution. Vous préférez rester observateur?
Je pense avant tout au regard des Algériens. Je suis à leurs côtés lorsque je travaille, ce sont eux que je filme et je m’attache notamment à évoquer le regard parfois acide que les Algériens peuvent manifester à travers les différents sujets de mes documentaires. Je ne fais pas des films « sur » des gens mais « avec" eux.
De mon point de vue, je fais particulièrement attention à ne pas porter un regard idéologique. Ce n’est pas à moi ni à aucun cinéaste de proposer des solutions, c’est aux politiques, aux hommes et femmes de l’État, aux chefs d’entreprise. J’ai en effet une fascination pour la complexité humaine, ses failles, son espace, ses territoires. C’est à mon sens, en s’inspirant du vécu, de l’humain, que l’on traduit le mieux la réalité mais aussi les problématiques d’un pays. La politique a été omniprésente dans l’histoire de l’Algérie. La caméra incarne les yeux du peuple, elle est, selon moi, le meilleur moyen de démocratiser l’image. Le cinéaste doit être proche des plus humbles afin de révéler leurs maux, leurs difficultés, leur citoyenneté, leur espoir.

Pourquoi avoir choisi un personnage d’immigré plutôt perdu dans cette histoire. Quel est son message ?
Messaoud dit "L’émigré" est un personnage qui s’est dessiné tardivement. Il n’a jamais émigré de sa vie. Ayant entendu parler du tournage, vivant à Ghoufi, dans le vieux village, il est venu me voir et m’a parlé de son histoire : ancien guide touristique, souhaitant défendre le patrimoine, cultivé, les années de terrorisme ont fait disparaître le tourisme, il s’est alors enfermé chez lui pour n’en ressortir qu’après de longues années en errant sur les routes avec l’espoir de rencontrer un touriste, en vain… Il m’a profondément touché. Il représente à lui seul l’errance, il va d’un groupe à un autre, d’un village à un autre, sur les routes. Il représente l’Algérien dans sa recherche de lui-même et de l’autre. On est tous quelque part comme Messaoud, dans une marche, un mouvement, une errance… Quand je l’ai vu au cœur de la beauté des paysages, au milieu de cette force, de cette énergie, de cette immensité, il a naturellement rejoint les autres personnages, l’émigré avait quelque chose à transmettre au spectateur, la perte du patrimoine, de la culture...

Le jeu des acteurs est admirable pourtant vous dites que ce sont des gens du village. Les avez-vous préparés ? Pourquoi ce choix d’amateurs?
Il n’y a pas d’acteurs dans ce film ! C’est un long-métrage documentaire, ce sont donc des personnages (ou des acteurs) du réel. Ce sont en fait les personnages réels comme les deux instituteurs d’aujourd’hui, très touchants, faisant partie du système éducatif, qui, au fil du film, se sont révélés face à la caméra. Ils sont eux mêmes. Ils tentent tous deux de faire au mieux en assurant une formation aux élèves de leur classe, dans l’espoir de les faire passer au collège en fin d’année. Tout est possible lors d’un tournage, je n’enferme pas les personnages dans une caricature ou un sujet donné. Il ne suffit pas de les filmer, il faut surtout les aimer, leur donner la possibilité de révéler leur humanité, leur réflexion, leur corps. C’est le cas de Rachida la femme de ménage, de Messaoud dit "L’émigré", de Azouz le papa de Besma, et surtout des enfants de la classe qui se sont révélés merveilleux, énergiques.

Peut-on dire de vous que vous appartenez à la nouvelle génération de cinéastes algériens?
Je tente de réaliser, à mon niveau, mes projets et de vivre de ma passion, le cinéma et plus particulièrement le documentaire, souvent absent du monde arabe et africain. Pour moi, l’enjeu est d’enregistrer au fil des années et de ma filmographie, une mémoire contemporaine de mon pays. Enregistrer le réel de nos années contemporaines permettent de créer l’archive de demain et ainsi d’aider à une réflexion globale, sociale et politique.

Des projets?
Bien entendu, c’est même l’essence de ma vie. J’ai commencé à créer mon identité, qui est multiple, en commençant à faire des films. Je pense que l’identité c’est un mouvement perpétuel, un cheminement. Au fil de mes films, je continue de créer "mon" identité. J’essaye d’aller aux antipodes de mon identité originelle, inculquée par un Etat, une religion, un dogme. J’essaye peut-être de créer mes propres fondements avec le temps, grâce à ce que me disent mes films. Comme le dit le poète Adonis, l’identité n’est-ce pas la création ?
G.K.
«La Chine est encore loin»
Sortie nationale le 28 avril
Distribution : Tadrart films

Par : GHANIA KHELIFI

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