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Edition du 14 Mars 2010



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M. Abdelkader Ben Salah, archéologue au Midi Libre
«Le site de Tipasa est bien sauvegardé»
10 Mars 2010

Après nous avoir servi de guide tout au long de notre visite aux ruines de Tipasa, M. A. Bensalah, archéologue, a bien voulu répondre à nos questions. Ecoutons-le.

Midi libre : Quelle est l’histoire de Tipasa :
A. Bensalah : La ville de Tipasa, ou du moins le site archéologique de Tipasa, est le reste d’une ville beaucoup plus antique que l’actuelle ville. Elle remonte à l’époque punique,  durant laquelle elle était un comptoir, qui fait partie du chapelet d’abris qui longe toute la côte algérienne ; Jijel, Béjaïa, Azzefoun, Delys, Alger Cherchel, Ténès, Gouraya… En général, le comptoir permettait aux navigateurs de se ravitailler, de s’abriter et surtout de s’adonner à leur activité favorite : le commerce ou du moins le troc à cete époque-là.
La ville de Tipasa tire son nom de «Tafsa » qui signifie, en berbère, lieu de passage. 
Cette partie de l’histoire était méconnue, ou du moins pas assez mise à jour. Ce que nous avons aujourd’hui sont principalement les restes de la Tipasa romaine. 

A quel moment ont débuté les recherches archéologiques dans ce cite ?
Les fouilles ont commencé dès le XIXe siècle, mais les vraies recherches archéologiques ont été menées au début du XXe siècle par Baradez, Gsell, Paul Albert Fevrier et ont continué même après l’Indépendance de l’Algérie avec, notamment, Serge Lancel et surtout M. Mounir Bouchenaki et bien d ’autres encore. 

Comment a-t-on réussi à conserver ce site ?
La région de Tipasa antique  fut colonisée au début du XIXe siècle.  Des colons sont venus s’installer dans la Mitidja. Il  y avait une famille assez riche (la famille Angelvy-Tremaux) qui avait acquis ce terrain pour cultiver des vignobles, comme ses confrères. Seuelement, cette famille s’est heurtée aux ruines, et fait appel au gouvernement et aux autorités français pour lui céder d’autres terres, car ce terrain n’était pas exploitable. Ce que le gouvernement a fait, et c’est ainsi que ce site a été sauvé. Mais il a été également visé à plusieurs reprises, et là je voudrais rendre hommage à un très grand archéologue algérien, en l’occurrence Mounir Bouchenaki, qui a sauvé la partie occidentale du site de Tipasa, en interdisant à l’architecte Pouillon son extension vers l’est de l’hôtel Matares. Donc, toute la partie occidentale a été préservée par notre aîné et guide qui a fait son travail avec courage et abnégation en tant que conservateur du site bien sûr, car il faut rendre à César ce qui appartient à César. Donc, je profite de cette aubaine pour lui rendre hommage, surtout qu’il a été également le précurseur du classement du site par l’Unesco En fait, tous les sites classés par l’Unesco en Algérie ont pratiquement été réalisés par Bouchenaki : la Casbah d’Alger, le Tassili, Djemila, Timgad, le M’zab, la Qalaa des Beni Hammad…
Ce sont des initiatives en faveur de notre mémoire, de notre patrimoine et de l’exploitation touristique à venir.   

Y a-t-il des endroits qui n’ont pas encore été fouillés, qui demeurent encore invisibles et enfouis ?
Oui, en effet, beaucoup d’endroits, notamment dans le site même de Tipasa où des pans entiers de l’antique Tipasa sont encore enfouis sous la magnifique végétation du site.
Il semblerait que déjà à l’époque coloniale Baradez et les propriétaires du site (la famille Angelvy-Tremaux) n’ont pas jugé nécessaire de tout découvrir ...  

Aujourd’hui, pensez-vous, en tant qu’archéologue, d’envisager de nouvelles fouilles sur le site ?
D’abord les fouilles sont réglementées et donc il faut toute une politique pour cela. La politique préconisée pour le moment est très bonne pour la conservation de ce patrimoine. En effet, on n’a pas jugé utile d’exhumer toutes les richesses enfouies, les sauvegardant ainsi d’une destruction lente et lancinante, comme c’est le cas pour les découvertes mises à jour. Aussi, la végétation, essentiellement des essences typiquement méditerranéennes, est importante car le parc est préservé, et comme vous le savez bien, il est classé dans le patrimoine de l’humanité. A ce titre, on n’a pas le droit de le défigurer et puis on sait beaucoup sur la cité de Tipasa et il n’est pas utile de fouiller encore ce site qui a tant donné.  

Vous avez participé dans les recherches de ce site ; quelle est la chose qui vous a le plus marqué lors des fouilles?
Jusqu’au jour d’aujourd’hui, je continue vaille que vaille à prospecter, et des fois à fouiller des parties de ce site mais disons que ce sont des fouilles de sauvetage car depuis que Tipasa s’est érigée en wilaya, le programme de construction a été multiplié par 10 ou 20 fois. Forcément, cela va empiéter sur les maisons et les autres vestiges encore enfouis sous terre et c’est à ce moment là que nous intervenons. Par exemple, sur le parc d’attraction créé dans les années 80, une tombe fut exhumée par un engin de terrassement. Nous avions alors arrêté les travaux de construction d’une cafétéria pour entamer des fouilles et j’étais responsable de ce chantier avec une collègue archéologue émigrée. Et justement, c’est durant ces fouilles que j’ai été marqué par une chose insolite. En effet, on venait de fouiller une tombe qui contenait les reliques d’une femme, celle-ci avait gardé sa chevelure (rousse) intacte. Les cheveux  partaient en l’air à chaque fois que nous essayions de les toucher. Il nous fallait, donc, trouver une solution pour les prises de vue, alors nous avions appliqué de la laque à cheveux pour les consolider. Nous avions passé tellement de temps avec cette bonne femme qu’elle venait durant toute la période des fouilles hanter mes nuits et j’ai même failli en tomber amoureux (rire) !  

De nombreux visiteurs auraient souhaité la présence d’un guide ou pour le moins bénéficier de fascicules explicatifs. A-t-on prévu d’y répondre à ce besoin ?
Évidemment que ce besoin a toujours existé et nous y avions répondu en publiant plusieurs guides et autres fascicules mais le stock est épuisé et on n’a pas pensé à éditer d’autres ou du moins rééditer les anciens. Je concède volontiers que nous avons des lacunes dans ce domaine, mais disons que le secteur du patrimoine est en pleine mutation, et très bientôt des guides seront à la disposition du public qui visite Tipasa. Quant aux guides à proprement parler, il n’y a pas beaucoup mais une dizaine de guides ont été formés dans ce cadre. Hélas, ils sont affectés à d’autres tâches comme le gardiennage et autres tâches ingrates. Personnellement, j’ai formé des dizaines de guides sur le tas mais à chaque fois, soit ils sont licenciés car recrutés dans le cadre de l’emploi de jeunes, soit affectés à d’autres tâches.  

Pouvez-vous nous citer ce qu’il y a lieu de visiter ?   
Ce qu’il faut visiter en premier lieu c’est le musée de Tipasa qui regroupe, les objets qui ont été exhumés lors des différentes fouilles. Nous aurons la chance et le privilège de voir toute une collection d’objets inestimables,  particulièrement tout le mobilier funéraire qui est exposé dans ce musée et qui nous renseigne sur la vie culturelle et cultuelle de l’Antiquité.
Les morts  étaient enterrés avec un mobilier qui les accompagne : poteries,  pièces de monnaies, bijoux,  armes, nourriture, tout cela nous donne une idée du régime alimentaire de l’époque ainsi que sur les cultes et les religions de l’époque.  Ce musé renferme aussi plusieurs mosaïques, dont l’une  appelée «les Captifs» ; elle  représente un chef autochtone, avec sa femme et son fils enchaînés. Cette mosaïque est une œuvre très importante qui concerne la morphologie des habitants de cette ville qui étaient des Berbères. Effectivement, leur chevelure crépue prouve, si besoin est, leur africanité et leur méditerranéité et, par ricochet, leur berbérité.  Apres la visite du  musée, on s’acheminera vers le parc archéologique. D’emblée, nous sommes accueillis par l’amphi théâtre. C’est là que les Tipasiens se sont barricadés pour échapper la grande révolte menée par Firmus en 371 de notre ére. Je vous rappelle que ce chef berbère avait complètement détruit et incendié Césarée (Cherchell). Après l’amphithéâtre, on passera directement vers le croisement des deux principales voies de la ville le Cardi maximus et le Decumanus maximus. Si nous empruntons cette dernière voie vers l’ouest, nous rencontrerons le 1er édifice qui est le Nymphe dédié aux eaux et aux nymphes, comme son nom l’indique, et où les habitants venaient surtout en période estivale où les cascades d’eau prodiguaient une fraîcheur bienfaisante à l’atmosphère. Ils aimaient s’y retrouver, se rencontrer, discuter.
Ensuite, le théâtre nous accueille "à gradins ouverts". De cet édifice à spectacles, on peut remonter une pente vers le Nord pour atteindre la grande basilique considérée à juste titre comme la plus grande de l’Afrique du Nord. En sortant par la poterne nord- ouest, on se retrouve dans la nécropole occidentale où on a plusieurs types d’inhumations, de tombes les hawanet, les tombes sous tuiles, des sarcophages  et autres mausolées, avant de s’arrêter et reprendre notre souffle devant la stèle d’Albert camus qui marque son endroit préféré et où en peut lire cette phrase qui est tirée de son œuvre Noces à Tipasa : "Je comprends ici ce qu’on appelle gloire le droit d’aimer sans mesure" , Notre grand prix Nobel de littérature a noté cette ville en y inscrivant son empreinte d’abord et en lui dédiant deux ouvrages importants «Noces à Tipasa» et «L’étranger». De cet endroit féerique, on a une vue imprenable sur le "mon" Chenoua (c’est ainsi que Camus écrivait le mont Chenoua) et sur Matarès. Là aussi, il faut se référer à l’étranger pour décrire cette partie, mais n’oublions pas aussi toute la végétation qui nous entoure et nous enivre de mille senteurs,
On reviendra sur nos pas en repassant par la grande basilique pour descendre vers les écuries et où les anciens remisaient leurs chevaux et autres bêtes de somme, ensuite on arrive à l’usine de garum (sauce à base de poissons et de crustacés), très prisé par les Romains
Apres les thermes où nous remarquerons les séquelles du séisme de 370  ap. J.C qui a ébranlé la région, nous arrivons à une grande villa très luxueuse et qu’on appelle la  Villa des fresques. En  remontant de cette villa, en accède au Forum, qui est le lieu le plus  important de la ville romaine, une place publique où les gens aimaient se retrouver et un marché hebdomadaire.  De part et d’autre du Forum, nous avons la basilique judicaire et la curie.
Le reste du site n’a pas été complètement fouillé, il est sous terre, donc, bien conservé, car il s’est acclimaté avec son milieu actuel. Nous avons également la végétation qui est magnifique avec les oliviers sauvages ou  olivastes, les pins maritimes,des pins pignons, des lentisques, du romarin, de l’absinthe du myrteetc, etc.   Toute cette flore est parfaitement bien conservée, étant donné qu’il  n’y a jamais eu de feu de forêt.  Donc, c’est tout un site qui est sauvegardé que ce soit au niveau faune ou flore ou encore historique. Ce n’est pas pour rien que ce  site a été classé en 1982 par l’Unesco sur la liste du patrimoine archéologique mondial. O.A.A.

Par : Ourida Ait Ali

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