Dans notre édition du 26 janvier, Mme Abla Hadji Benzerafa, dans l’interview qu’elle a bien voulu nous accorder, nous a expliqués ce qu’est la thérapie familiale, son origine, son introduction en Algérie ainsi que la formation
de cette technique. Aujourd’hui, Madame Hadji nous cite quelques cas de conflits conjugaux, les raisons qui peuvent pousser jusqu’à commettre l’irréparable, c’est-à-dire le divorce, et la déchirure que cela peut causer aux enfants, mais également des cas de couples qui ont connu une salutation sereine grâce à cette forme de réunion de groupe, qu’est la thérapie familiale.
Par le passé, la famille regrouait plusieurs générations vivant sous le même toit, en raison des conditions économiques précaires qui prévalaient. De ce fait, la solidarité unissait les membres de la famille, rendant la vie communautaire quelque peu moins dure. Le progrès technique a fait que les conditions de vie se sont améliorées au fil du temps et l’évolution des idées ont fait éclaté l’ancienne structure familiale, passant, ainsi, à la famille «nucléaire», composée de deux générations seulement, les partents et les enfants, et ces derniers quittent la maison familiale dès qu’ils sont en mesure d’être autonomes. Dans ce type de structure familiale, le rôle de chaque parent n’est pas aussi tranché que jadis. En effet, autrefois à la femme les travaux ménagers et à l’homme les décisions à prendre qui engagent la famille, d’autant qu’il est le seul à assumer les dépenses. Donc, la femme, quel que soit son statut, mère, épouse, sœur ou fille, elle n’avait pas de poids, elle se contentait d’exécuter le rôle qui lui était imposé sans brancher. Aussi, elle n’avait le droit de revendiquer aucun privilège, par conséquent, aucune contestation n’est possible d’où pourrait naître un quelconque conflit, source de rupture. Il est clair que de nos jours notre société connaît continuellement des changements de mode de vie. L’émancipation de la femme, en raison de l’évolution des idées, a fait que celle-ci revendique une nouvelle «division du travail» dans le foyer conjugal, d’autant qu’elle exerce une profession, tout comme son époux, ce qui est une source de revenu, donc d’autonomie. Souvent, et d’une manière inconsciente, il y’a résistance au changement de l’époux. Cette situation peut entraîner des conflits pouvant aller jusqu’au divorce, avec toutes les conséquences dramatiques que cela engendre sur l’avenir des enfants, notamment à cause du déchirement qui en résulte. En effet, les enfants ont besoin autant de leur père que de leur mère ; la nature est ainsi faite. Un garçonnet livré à lui-même ne connaît pas les pièges de la rue et seul son père peut le conseiller et en l’absence de celui-ci la délinquance le guette à tout moment. C’est pareille pour la fille qui seule sa mère peu lui faire comprendre avec amour les mystères de la vie. Le divorce des parents est un événement dramatique pour tout enfant qu’il n’a pas choisi de vivre, mais qui lui a été imposé par ses parents. Pour toutes ces raisons, les chercheurs, les sociologues et les psychologues, pour la plupart, ont mis cette technique de thérapie familiale qui consiste à faire participer tous les membres de la famille dans une espèce de réunion qui ouvre le dialogue afin d’étudier le problème et essayer de trouver la solution appropriée. Toutes les idées sont bonnes pour qu’on aboutisse au règlement des conflits et éviter le divorce.
Midi libre : Pouvez-vous nous donner approximativement le nombre de couples qui se séparent ?
Mme Abla Hadji Benzerafa : Les chiffres sont alarmants. Un couple sur cinq, se sépare au bout de 3 ans de vie commune. Pourquoi et comment les relations d’un couple deviennent un rapport de force est la question essentielle qui mérite d’être posée.
Peut-on savoir pourquoi ?
Dans un couple, il y a plus qu’un homme et une femme qui décident de partager leur vie, il y a également, ne l’oublions pas, deux cultures, deux mémoires, des places différentes dans les fratries et surtout les aspirations de chacun des deux conjoints qui peuvent être totalement contradictoires après quelque temps de vie commune.
Quelles sont les causes du divorce qui reviennent le plus souvent ?
Le refus de vivre sous le même toit que la belle-famille, mais ce problème n’est que le révélateur d’une situation de séparation déjà latente. Viennent ensuite l’infidélité du mari et, très rarement, celle de l’épouse et puis il y a la violence conjugale qui, je crois, est la principale cause de divorce.
Quand vous parlez de violence, s’agit-il de coups et blessures physiques seulement ?
Non, ce sont toutes les tortures imaginables comme l’interdiction d’aller dans sa famille d’origine, voir ses amies, etc. Ce peut être aussi des insultes, des mots blessants, des regrets exprimés à voix haute d’avoir choisi cette femme. Parfois, ce sont les parents qui imposent l’épouse au mari et celui-ci finit par ne plus supporter ce choix.
Pourtant, autrefois les divorces étaient rares ; que s’est-il passé dans notre société pour en arriver là ?
C’est inhérent à cette époque charnière que nous vivons présentement, à cette longue transition où la tradition n’est plus de mise, pendant que la vie moderne n’est pas encore vécue avec équilibre et souplesse, c’est comme à toutes les sociétés qui ont connu la brutalité d’une colonisation et d’une décolonisation. Ce n’est pas facile de construire quelque chose lorsqu’on ignore ce qui a fait notre force. Autrefois, tout le monde était logé à la même enseigne ; les familles vivaient en communauté sous la férule du patriarche. Certes, il y avait moins de liberté d’agir et de penser hors de ce cercle, mais en même temps, tous les membres de cette grande famille étaient protégés lors d’événements difficiles, comme la maladie, la mort, la pauvreté et surtout la solitude. Cette solidarité a éclaté à chaque bouleversement.
Tout récemment, le terrorisme a non seulement détruit ce précieux tissu social, mais a encore dressé les membres de la même famille les uns contre les autres.
Qui dit divorce, dit séparation
des enfants, malheur des enfants. Il faut dire que ce sont eux les grands perdant et cela peut se répercuter négativement pendant longtemps sur leur vie. Que peut faire la thérapie familiale pour aider ces familles ?
D’abord, comprendre le couple, ne pas le culpabiliser. Je dis couple, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un homme et d’une femme, mais comme dit Philippe Caillé, un thérapeute célèbre : "Un plus un égale trois»
Tous les ingrédients pour nourrir une relation dans un bon sens comme dans l’autre existent.
La thérapie familiale se propose d’aller au fond des choses avec chacun des membres de la famille afin de permettre qu’une vraie communication s’installe entre les protagonistes. Le génograme permettra bien d’avancer et peut être en lui-même thérapeutique. Savoir, par exemple, qu’un oncle a divorcé plusieurs fois peut aider à comprendre les mécanismes de rejet qui s’installent lorsque les enfants comprennent que leurs parents ne les abandonnent pas en se séparant. Lorsque les choses sont exprimées haut et justes, il n’y aura pas de retombées négatives ou, enfin, pas trop.
Est-ce que vous arrivez à réconcilier tous les couples
et leur éviter ainsi le divorce ?
Le plus important, c’est que les gens puissent faire un travail sur eux-mêmes, se connaître bien et cerner leur demande de conjoint à partir de là. Un couple en difficultés peut se réconcilier et repartir sur de bonnes bases ou, dans le pire des cas, se séparer en adultes mûrs. Cessez de se déchirer et autant bénéfique pour chacun des conjoints que pour leurs enfants.
Y a-t-il dans les approches systémiques, une approche particulièrement centrée sur le couple ou bien est-ce une construction du personnel du thérapeute d’après la situation qui se présente ?
Nous faisons, certes, une synthèse de tout ce que nous avons parfois en formation, mais beaucoup de paramètres s’ajoutent, tels que la culture du thérapeute, son âge, son propre vécu, puisque nous travaillons avec nos résonances personnelles et nous essayons d’être en empathie avec chaque membre et de créer des interactions suffisamment riches pour installer notre thérapie, mais j’insiste sur le fait que les familles ont des compétences, mais comme elles sont trop attachées à leur histoire, elles ne peuvent s’en dégager pour trouver des solutions ; c’est le rôle du thérapeute de les guider. Pour répondre à votre question, je dirais que certains thérapeutes se spécialisent et deviennent des thérapeutes de couple pour ne citer que les plus médiatisés : le professeur Serge Hifez, auteur, entre autres, de "La danse du couple".
Parmi les jeunes qui s’adonnent aux stupéfiants, un fort pourcentage sont des enfants
de parents divorcés. Comment expliquer ce phénomène, pour éventuellement y remédier ?
La très forte angoisse ressentie par les enfants dont les parents divorcent surtout avec fracas remonte à la surface durant leur adolescence, au moment où les jeunes sont très fragilisés. Il y a, donc, le désir à la foi de redevenir tout petit (fumer, souffrir, boire, remplace un peu le biberon) et de devenir adulte très vite. C’est cette contradiction douloureuse de choisir sa famille qui les poussent à se lier à un groupe de pairs, une bande de jeunes. Mais si les enfants sont écoutés, aimés et accompagnés, ils pourront s’en sortir.
Dans ces cas, la thérapie familiale peut-elle agir ?
Tout à fait ; elle peut jouer un rôle de médiateur et dénouer la crise. Les parents peuvent se réconcilier et repartir sur de bonnes bases, mais aussi, le thérapeute peut aider un couple à bien se séparer et donc limiter les dégâts causés aux enfants. Ce qui prime, c’est l’atmosphère que le thérapeute aura réussi à installer.
D’où vient cette violence qui déchire tant de couples ? Pouvez-vous nous donner quelques éléments de réponses ?
Les psys expliquent la violence d’une personne par le fait que c’est l’expression d’une réelle souffrance, d’un rejet de soi-même et de la confusion de l’adulte d’aujourd’hui avec l’enfant maltraité qu’il a été autrefois. Tout cela fait une construction mentale qui déclenche la violence lors d’une altercation où le sujet violent est touché dans son histoire personnelle. Vous voyez, c’est très profond et je précise que le mariage provoque des remous très forts et atteint, je dirais, un archaïsme du mental, du physique, de l’émotionnel.
Dans ce cas-là, avant de se marier, les gens devraient-ils suivre une analyse afin d’éviter tous ces écueils ?
Je n’irais pas jusque-là, ce ne serait pas humainement possible, mais les couples en crise devraient savoir qu’il y a des personnes compétentes pour les écouter et les aider. De ce fait, ce serait bien qu’il y ait un peu partout, dans les universités, au travail, dans les mosquées, dans les conférences, des discussions encadrées par des travailleurs sociaux, autour du thème du mariage, du choix du conjoint. Par exemple, il est bon de savoir que l’on projette inconsciemment une image du conjoint idéal est que cette projection est interceptée par la personne qui convient. Seulement, il est utile de savoir que nous possédons tous "un absolu du couple", une idée sur laquelle se base notre vie afin qu’elle soit équilibrée ?
Comment connaître cet "absolu
du couple" ? C’est très intéressant !
Grâce à un travail sur soi-même fait intelligemment et sincèrement et aussi à l’aide d’un questionneur.
Un questionneur, comment ?
Ce peut être un thérapeute de couple comme cela peut être une personne mûre et sage que l’on consultera, ou soi-même en étant sincère et en se débarrassant des faux mirages.
Pourtant, on voit parfois des couples qui semblent mal assortis mais dont l’union dure pourtant très longtemps.
Vous avez raison de dire "semblent" car, en effet, ils ont au fond d’eux-mêmes le même "absolu". Ce peut être l’amour du travail, l’amour de la patrie. Un homme qui aime être choyé sera heureux avec une femme divorcée. Par exemple, j’ai connu dans ma pratique un couple au bord de la séparation, mais qui tient toujours après 10 ans de vie. La femme ne se résout pas à divorcer pas seulement, à cause de l’existence de leurs enfants, mais parce que le mari, dépressif, lui renvoie l’image d’une épouse dévouée et sacrifiante. En faisant leur génogramme, l’on a découvert que sa grand-mère a vécu à peu près la même situation, alors qu’elle ignorait la vie de cette grand-mère. Alors que du côté du mari, nous avons eu la surprise de constater, toujours en faisant le génogramme, que celui-ci est tombé malade (dépressif) exactement à l’âge où son père était mort de chagrin suite à un grave accident domestique arrivé à ce même monsieur. A partir de ce constat vécu par les deux conjoints, les choses ont complètement changé dans leur couple et on peut dire que cela va mieux.
Pour revenir au choix du conjoint, malgré les rencontres
et les histoires d’amour, le choix se fait mal puis- qu’il y a trop
de divorces ?
Il ne faut pas oublier que les mariages d’amour ne sont pas très nombreux. Dans le passé, on se mariait par affinités de famille, de classe sociale (ne nous voilons pas la face, ils existent bel et bien) de profession, et donc le cadre s’installait mieux. L’absolu y était, respect des valeurs traditionnelles et religieuses, respect du sexe dit faible, désir profond de bien se perpétuer par la descendance. Aujourd’hui, les jeunes veulent être heureux, c’est-à-dire se choisir seulement pour aimer et être aimé. Hors, il faut se connaître soi-même et s’aimer soi-même d’abord, s’accepter, connaître ses limites et celles des autres.
Donc, aujourd’hui, il y a une violence de sentiments, la barre est placée trop haut et il y a, il faut le dire, beaucoup d’égoïsme, un refus de patience inconscient et un refus de patienter, c’est tout !
Les hommes et les femmes n’ont pas mûri de la même manière ni en même temps. Au moment où la femme tombe réellement amoureuse et s’investit dans le mariage et la procréation, l’homme, cesse d’être amoureux et devient plus exigeant, voire un peu frivole. Pour avancer en même temps, tout en étant différents et en se complétant, il faut se rechoisir sans cesse, séduire l’autre sans cesse en arrivant à plus de maturité parce qu’aimer, c’est avant tout donner sans compter.
Il y a aussi des interférences, les histoires de belles-mères mégères et de belles-filles à histoires qui peuplent nos conversations, qu’en dites-vous ?
Hélas oui ! Lorsqu’une mère devient belle-mère, elle considère souvent qu’elle est dépossédée de son bien et n’a de cesse de retrouver sa suprématie. Beaucoup de divorces interviennent à cause du manque de maturité de certaines femmes pourtant âgées. Il y a un profond travail à faire pour aider ces mamans se sentant "inutiles". C’est aux jeunes de savoir comment se conduire pour la "passation de consignes", si je puisse dire ! La famille est là pour aider ces familles en crise. Il suffit de tendre la main, d’écouter, d’orienter de relier les fils de la communication entre tous.
Je connais le cas d’un jeune couple dont la femme refusait de vivre sous le même toit que la famille élargie et ne cessait de demander à son mari pour qu’il lui trouve un logement, ce qu’il finit par faire, mais c’est une fois seuls, en couple, que leur ménage s’est brisé et ils ont divorcé. Le travail sur soi-même et la préparation à quitter en bons termes le foyer parental n’a pas été fait et cela a été fatal pour le couple.
Pouvez-vous nous citer un couple au bord du divorce et qui a réussi
à se reconstruire après la thérapie ?
J’ai reçu un couple à la demande du médecin d’une unité de dépistage scolaire (UDS) à Larbaâ. Le docteur Belar a, elle-même, été activée par l’enseignante du petit Mounir, sept ans. Celui-ci se plaignait en classe de douleurs abdominales. Alertée, la maman raconte au médecin que Mounir refusait d’aller à la selle depuis 4 mois et que toutes les investigations médicales s’étaient révélées négatives. Restait donc à voir du côté psychologique mais voilà, Mounir refusait d’aller voir la psychologue de l’UDS.
Le médecin qui me connaisait m’a présenté la maman du petit garçon. Je peux dire que cet enfant a eu le génie par son problème d’amener ses parents chez un thérapeute de famille, qu’il a ouvert une brèche par où j’ai pu arriver jusqu’au couple, puisqu’en fait, cet enfant souffrait de la mauvaise entente de ses parents et de l’absence du père et inconsciemment criait au secours en manifestant ses troubles intestinaux.
Donc, en discutant avec les parents, en établissant le génograme, en recevant toute la petite famille composée de deux autres enfants, en observant leur manière de communiquer entre eux et avec moi, en notant les mots utilisés, nous avons pu ensemble, la famille et moi, mettre des mots sur les maux… et ce couple qui avait entamé une procédure de divorce a réussi à surmonter ses difficultés. Grâce à ces interactions vécues en séances de thérapie familiale, ils ont pu échanger les paroles qui manquaient à leur couple pour se cimenter !
O.A.A