Brahim Tazaghart n’est plus à présenter. Auteur prolifique, il a en plus investi le champ de l’édition depuis quelques années et cela semble lui réussir. Après «Salas d Nuja» (Salas et Nuja), un roman d’amour en 2004, «Akin i tira»(Plus loin que l’écriture), un recueil de poésie en 2006 et «Lgerrat»(Les traces), un recueil de nouvelles, il revient cette fois-ci avec un recueil de poésie, «Amulli ameggaz» (Heureux anniversaire), édition Tira/2010.
Un texte fort intéressant pour deux raisons essentielles : la première relève du fait que Brahim investit un thème rare dans la production littéraire kabyle, celui de l’amour possession, de l’amour charnel, de l’amour interdit et de l’amour transgression. Sachant que le moule des traditions sociales font que cette thématique est délaissée, du moins non tentée, parce que le vocabulaire inhérent est pratiquement du domaine de la néologie. Et quand l’existant est utilisé, si le mode poétique n’est pas puissant –comme c’est le cas dans «Amulli ameggaz-, le vulgaire reste à portée de lecture.
La seconde est que l’auteur, ici, nous donne à lire un roman, un dialogue, un appel, un cri, une crue de la mémoire, un mea-culpa, une confession… mais aussi une démonstration amoureuse moulée dans des vers d’une simplicité de lecture totale, mais portés par un souffle qui appelle, tendrement, l’hypothétique amour d’hier.
Cet amour du passé, qui surgit comme un fantôme, vient falsifier la conscience du moment de l’écriture. Cet état de grâce ne dure pas longtemps, d’autant qu’ici les enfants de la raison et de l’amour filial rappellent le père à la réalité quand le poète s’engage dans ces voies mémorielles qui vont chouchouter l’adolescence. Puis cet amour existe-t-il de vrai ? N’est-ce pas une création du poète pour tenter la mystification du cœur ? N’est-ce pas une simple révélation d’une lecture pour aller tenter un itinéraire littéraire ? Ou bien, est-ce simplement un rappel incoercible d’une mémoire qui, le temps d’une inspiration, a dans une exigence totalitaire obligé Brahim Tazaghart à convoquer Nuja pour lui intimer, tantôt de le couver, de l’aimer, de le cacher dans son amour, tantôt de le désavouer, de le refouler, de l’intimider… A moins que ce ne soit le poète, fatigué de porter l’incurable amour, qui demande à sa bien-aimée de –simplement, le quitter et l’oublier. Laissons dire Brahim tazaghart : «Quelle est la couleur de tes yeux ?/Quelle est la senteur de ton sourire ?/Je te dirai la vérité : Je ne m’en rappelle pas/Si ta voix était douce/A moins que/Rauque comme les jours de chagrin/Gaulés par mon espoir/Quand tu as marché dans leur sillage/Tu m’as oublié…» Il est indispensable de faire une relecture de ce recueil de poésie, « Amulli ameggaz », qui vient bousculer un vocabulaire habitué à des situations confortables pour la paix du cœur, afin de dégager toutes les nouveautés de langage, mais surtout de style. Rappelons que ce recueil est dédié au repos de l’âme du grand poète arabe Nizzar Kibbani. Peut-être que ceci explique cela ? I. I.