Ma plume me mènera, ce jour, vers la Kabylie maritime où de splendides lieux de vie contemplent de leur hauteur une mer, tantôt coléreuse, tantôt lascive, qui vient épouser les formes de la grève. Là Dellys. Plus Loin Tigzirt. Puis Azeffoun montre ses atours comme un mannequin sur l’estrade d’un défilé de mode.
Plus loin qu’Azeffoun, en allant vers la sublime plage du «Petit paradis», un petit village —niché sur un promontoire— contemple stoïquement la mer Méditerranée, comme s’il n’avait aucun désir de voyage. Par contre, un enfant de ce village a fait de cette vue féérique un tremplin au rêve, au verbe, à la poésie et au roman.
Tahar Djaout, c’est de lui qu’il s’agit, repose dans son village depuis que les ennemis de la pensée et de l’intelligence nous l’ont «enlevé» un certain mois de mai 1993. Oui, il est revenu, comme pour des noces immémoriales, reposer dans sa terre natale, Oulkhou. Ce romancier n’a pratiquement jamais indiqué dans ses bio en quatrième de couverture le nom de son village, comme s’il voulait garder secret, rien que pour lui, dans l’intime des amitiés, dans le ressort de la famille, le nom même d’Oulkhou.
Oulkhou, pas loin du village héroïque d’Igoudjdal, joue à l’équilibre sur un promontoire, l’endroit le plus plat, pour reposer les fondations d’une vie de village. Il n’est pas simple de vivre sur cette place. Tant il est vrai que les «At lebhar» ont depuis toujours connu les déplacements, qui pour subvenir aux besoins de la famille, qui pour émigrer loin du pays, qui pour tenter de percer le secret du qcid chaâbi, qui pour tenter «L’invention du désert».
Oulkhou reconnaît les siens qui ne se perdent jamais. Jeunes, au fort de leur être, les «Oulkhouiens» (mes excuses d’avoir inventé ce terme) investissent d’autres territoires et reviennent toujours vers la terre natale pour s’y reposer de leur errance, y vivre les interminables jours de vieillesse, mourir d’une belle mort et pouvoir, enfin, reposer sa tête pour l’éternité.
Avant le 4 juin 1993, je n’ai jamais mis auparavant les pieds dans ce village. Mais ce jour, j’ai avec des milliers de personnes rendu un dernier hommage à ce poète, qui m’a tant appris, avec lequel j’ai pu rêver à la démesure poétique, assassiné alors qu’il avait tant à nous donner, à donner à l’universalité. Depuis, je repars assez souvent, la tête bourrée de phrases de ce fils prodigue d’Oulkhou, cet écrivain au talent racé, l’auteur de «L’exproprié», rendre visite au village, souvent d’une manière incognito, et faire en sorte de s’asseoir à côté de la tombe de Tahar Djaout.
Je relis «Les chercheurs d’os» et je me rends compte que l’histoire tourne le dos à ses enfants, comme une vieille catin. I. I.