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Bouira
Les cybercafés et les dérives à tendance lucrative
16 Juin 2009

Il y a des commerces qui naissent, qui viennent au monde sous la contrainte ou la recommandation d’un besoin qu’il faut absolument satisfaire. D’autres sont là suite à la poussée d’une mode quelconque ou d’une technologie en vogue. C’est le cas des cybercafés.

A l‘heure de la communication tous azimuts, il y a quelques années de cela et à l‘instar de plusieurs sociétés dans le monde, ce genre de commerce a fait son irruption fulgurante dans l‘univers social des Algériens. Ces derniers découvrent alors dans ces nouveaux espaces Internet ce formidable outil de communication qui s‘imposait au tout début comme une véritable drogue touchant les jeunes et moins jeunes et toutes les catégories sociales et professionnelles. Aujourd‘hui, quelques années seulement après son introduction, Internet, cette extraordinaire découverte qui a et continue à bouleverser le monde fait moins d‘adeptes chez nous et ne fait malheureusement plus recette dans les cybercafés.
Cette défection peut se justifier en partie par le fait qu‘à présent, un grand nombre d‘Algériens sont connectés à partir de chez eux grâce aux services de l‘ADSL dont les tarifs d‘abonnement ne cessent de dégringoler et d‘attirer, par conséquent, de plus en plus d‘internautes. Face à cette désertion des clients dont l‘affluence  faisaient au tout début le bonheur des détenteurs des cybercafés, ces derniers ne s‘intéressent plus  maintenant au commerce de la connexion. Mais, à défaut de chômer ils s‘ingénient à trouver d‘autres moyens lucratifs pour continuer à survivre. Certains cybers  et commerces  de   l‘informatique  font autre chose de ces   espaces et vont encore plus   loin en transformant leurs   établissements en de véritables salles de jeux.
Internet devenu un créneau peu commercial et non porteur, les détenteurs de ces lieux ne s‘intéressent plus à la communication ni à la connexion et préfèrent mettre à la disposition des jeunes et moins jeunes toutes sortes de jeux allant du billard aux parties de football en passant par les jeux de stratégie et de combat.
Pour s‘en convaincre, il suffit d‘effectuer une petite virée dans quelques cybers réservés initialement à Internet afin de  vérifier de visu que la connexion n‘y est pas. En effet, dans plusieurs cybers où nous nous sommes rendus, les rares clients  qui  sont assis derrière leurs postes sont des enfants ou des jeunes ayant moins de vingt ans. Ils sont complètement absorbés par leur univers ludique en s‘adonnant avec fougue à des jeux servis sur commande par le gérant des lieux.
Face à leurs postes, ces jeunes ne s‘inquiètent pas outre mesure de ce qui les entoure et la majorité ne savent même plus si leurs postes sont connectés ou pas. Leur centre d‘intérêt se limite à gagner la partie et à exceller dans le jeu afin de remporter autant de victoires que possible. Interrogés sur la question, certains propriétaires de cybers justifient ce penchant pour les jeux ludiques et distractifs, par le fait que la connexion à Internet n‘attire plus grand monde dans ces espaces publics, surtout depuis l‘avènement de l‘ADSL qui a ouvert grandement les portes à une connexion à domicile. «Aujourd‘hui, depuis l‘arrivée de l‘ADSL, c‘est tout le monde qui se connecte à partir de chez lui. Les gens n‘ont plus besoin de se déplacer vers les cybers pour surfer et cela porte un véritable préjudice à notre commerce. Alors on doit se débrouiller et on essaie de faire de notre mieux pour ne pas mettre la clef sous le paillasson», argumente le gérant d‘un cyber.
Estimant sans doute que leur commerce rapporte moins en faisant de petites prestations ou en vendant du matériel et accessoires informatiques, de nombreux  propriétaires de cybers  font eux-mêmes de petites «recherches» sur le Net sur des sujets précis qu‘ils revendent après sous forme de fascicules ou polycopies pour un prix allant de 25 à 35 dinars le feuillet en fonction du sujet traité et de son importance. Ainsi, ils découvrent, maintenant, une nouvelle source de revenus en vendant à tous vents des fascicules et des brochures contenant des travaux de recherche ou des exposés que les professeurs et enseignants auront exigés de leurs étudiants.
Pour servir leur clientèle et motivés beaucoup plus par les bénéfices qu‘ils réalisent, les pseudo-chercheurs consultent différents sites pour répondre favorablement à la demande. Malheureusement, le plus souvent ils sont à côté du sujet que  l‘enseignant aurait proposé à ses étudiants et que les «substituts»  sont censés traiter à leur place. Résultats : les «cybermen», aveuglés sans doute par le gain facile, se retrouvent en train de vendre n‘importe quoi, particulièrement, à des élèves du primaire ou des collégiens innocents et ne connaissant rien ou presque du travail qu‘ils sont appelés à faire et contraints de remettre dans les délais à l‘enseignant. A ce sujet, en se rendant dans un cybercafé du quartier Harkat à Bouira, il nous a été possible de vérifier par nous-mêmes les maladresses commises par le détenteur des lieux. Alors que nous étions sur place, celui-ci s‘apprêtait à remettre un exposé à un groupe de collégiens qui était venu la veille passer la commande. Le thème du travail de recherche proposé par l‘enseignant à ses élèves était : «Les voyages forment la jeunesse». Mais voyant que le sujet n‘est pas du tout facile à circonscrire, le cyberman n‘a pas trouvé mieux que de se rabattre sur quelques récits de voyages qu‘il a imprimé et remis ensuite sous forme d‘exposé aux adolescents. Ces derniers débourseront 30 dinars chacun pour un travail qu‘ils n‘avaient jamais demandé et qu‘ils ne liront peut-être jamais.      
Toutefois, dans toute cette démarche aboutissant à des travaux et des exposés «prêt-à-porter» que les élèves et étudiants finissent par remettre à leurs enseignants, ces derniers sont les premiers à plaindre, bien évidemment. En effet, par manque de temps ou par souci d‘avancer dans le programme, souvent l‘enseignant ferme les yeux et accepte des exposés imprimés  ou des travaux «alibi», sachant pertinemment que le travail remis par l‘étudiant n‘est en fait qu‘un faire-valoir sans plus et loin d‘être une production personnelle  reflétant les connaissances acquises ou le niveau réel de l‘étudiant.
Il est vrai que le recours quasi-machinal à l‘Internet par les élèves comme principale source de réalisation de leurs travaux de recherches donne de quoi s‘inquiéter à leurs parents qui estiment que ce genre de pratique s‘avère coûteux et sans grand apport en matière d‘apprentissage et de connaissances. D‘autant plus qu‘en optant pour les travaux «prêt-à-porter» que confectionnent les propriétaires des cybers, les étudiants ou élèves n‘apportent aucune touche personnelle ou collective et évitent jusqu‘à lire ou reprendre à l‘écrit les exposés ou les travaux de recherche qu‘ils devraient eux-mêmes effectuer. Et au point où nous en sommes, on ne voit pas ce que l‘enseignant ou le professeur auront à corriger, ni sur quels critères ils se baseront pour évaluer leurs étudiants. Ces derniers remettent un produit corrigé et révisé et ne souffrant d‘aucune lacune car  provenant directement des sites Internet. Certains enseignants sont tout à fait conscients de ce genre de «dérive» pédagogique et vont jusqu‘à avouer que la majorité des travaux remis par les élèves ne sont pas corrigés. Ils affirment toutefois, qu‘ils sont soumis à un suivi pédagogique exercé par les inspecteurs et qu‘ils sont, de ce fait, tenus par la progression des programmes qu‘il faut absolument terminer dans les délais et en fonction d‘un canevas préalablement tracé. Afin de stimuler ou contraindre leurs étudiants à faire un travail personnel, certains enseignants exigent tout de même que le travail remis soit écrit à la main et n‘acceptent en aucun cas de le corriger avant qu‘il soit présenté et exposé par son ou ses concepteur(s).  «Nos étudiants ne font pas l‘effort de faire des recherches par eux-mêmes. L‘Internet est une vertu inégalable mais, chez nous, les utilisateurs ont tendance à transformer ce moyen de recherche et d‘apprentissage en un outil de paresse. C‘est malheureux», dira un prof universitaire interrogé sur le sujet.    

Par : Ali Sebaâ

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