At Yenni est une constellation de villages, sept au total, qui occupe les hauteurs d’un piedmont d’où le regard peut faire un travelling sur l’auguste Djurdjura. C’est le cas des espaces habités de la Kabylie, sauf qu’à At Yenni, les villages qui lui sont constitutifs forment un ensemble uni, harmonieux et géométriquement esthétique. Ils se tiennent la main et s’appuient les uns sur les autres, à hauteur de voies d’accès comme pour défier toute propension au vertige.
At Lahcène, At Larbaa, Taourirt Mimoun, Tigzirt, Taourirt Lhadjadj, Agouni n’Ahmed … se suffisent à eux-mêmes, tout en s’offrant mutuellement de la sollicitude. Ces villages sont le squelette d’At Yenni qui se dresse face à l’Histoire pour consacrer son existence, mais aussi pour dire et faire l’Histoire. Youcef U Kac i peut en témoigner, lui qui a chanté la beauté de ces lieux et l’ingéniosité -ou le génie- des At Yenni. De nos jours, At Yenni est connu pour son bijou, comme l’est At Hichem pour son tapis. Si cela est vrai, il n’en demeure pas moins que cet espace de sens a vu naître l’écrivain de talent, le conservateur du patrimoine immatériel et le référent identitaire de nombre de générations, Mouloud Mammeri. Ce dernier, adulé par tous, est désormais un mythe. Même si certains souhaitent le cantonner dans cette sphère de l’universalité. Sauf que Mammeri est parti d’At Yenni qui a été sa matrice, sa muse, son amour, sa référence et son vecteur. At Yenni n’est plus une «Colline oubliée» depuis qu’il y repose dans son «Sommeil du juste».C’est de cette manière que je projette mon regard sur la cosmogonie des villages de Kabylie, puisque cette région s’est structurée depuis la nuit des temps de cette architecture. L’histoire retiendra qu’At Yenni a dominé le métal, l’argent, le fer et l’acier. La vénérable mosquée de Taourirt Mimoun atteste de cette vérité. Selon les anciens rencontrés sur place, celle-ci aurait été construite par les Turcs pour «remercier» les At Yenni d’arrêter de fabriquer de la fausse monnaie. J’y crois personnellement, même si aucune preuve écrite n’existe. Comme je crois également à ceux qui disent que les armes ont été fabriquées dans cette région et ont servi aux premiers soulèvements algériens. Il n’y a plus de trace de fonderie ou autre atelier. Mais les At Yenni persistent à battre le métal argent pour fabriquer des fibules, des bracelets, des bagues, des akhelkhals sur lesquels le corail, les émaux et la découpe s’accordent pour dresser l’architecture de la mémoire. La fête annuelle du bijou a repris de plus belle, comme pour dire aux superstitieux de l’art kabyle que l’horizon est à portée de main. Pour peu que le mythe naisse, ici, pour en faire un vecteur de notre part de l’entière humanité. Puis à Tigzirt, l’île en tamazight, dans son cimetière, repose pour l’éternité L. Amar, brillant orateur, amoureux des belles Lettres, fin diplomate et ami des terres limivores de l’énarchie.