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Edition du 2 Août 2009



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Rabea Nedjar specialiste de la Cuisine traditionnelle du chenoua
L’art culinaire au bout des doigts
22 Juillet 2009

Nourrie à la pâte de ses ancêtres, pétrie dans le moule de la région chenouie, rivée à la passion culinaire qu’elle cultive depuis une trentaine d’années et sa soif inextinguible de connaître tout l’éventail des plantes de son terroir, Mme Rabéa Nedjar ne laisse filer aucune occasion pour faire montre de son doigté et faire apprécier les mets de la cuisine chenouie, confectionnés à base d’herbes. Le Chenoua représente ce brassage de culture et de coutume entre Berbères, Byzantins, Romains, dont l’empreinte révèle la richesse de cette région côtière. «C’est pour sauvegarder l’identité de ma région qui possède une des plus riches flores depuis l’antiquité (...). Chaque année, au printemps, lorsque la nature se réveille, je me ressource grâce à ses fragrances, je cueille les plantes pour renouveler les gestes du passé en préparant les plats authentiques de mes aïeules. Je marie les herbes de la montagne avec les fruits de la mer», tient à souligner le cordon bleu, en quête perpétuelle d’une cuisine savoureuse qu’elle décline pour les fins gourmets. Une femme écolo qui milite, à sa manière, à la préservation de ce patrimoine végétal. Focus.

Le midi Libre : Madame Rabea Nedjar, présentez-vous à nos lecteurs ?
Rabea Nedjar : Je suis native de Tipasa, d’origine chenouie. Je travaille dans une institution de l’Etat, mais j’exerce aussi ma passion qui rentre dans le cadre de la préservation du patrimoine culinaire chenoui. Je le fais par passion et pour l’amour de cette région que j’aime beaucoup et dont je ne peux pas m’en passer.
Depuis mon enfance et surtout dans le milieu où j’étais élevée, j’ai gardé beaucoup de souvenirs qui m’ont marquée et c’est pour cette raison que je militerai à ma façon pour faire sortir cette région de l’anonymat, en m’exprimant à travers l’art culinaire et le patrimoine floristique et marin dont recèle la région et que beaucoup de gens méconnaissent. C’est une manière aussi de rendre un grand hommage à toutes ces vieilles femmes chenouies qui oeuvrent à perpétuer l’héritage culinaire de la région.
Quelle est la spécificité de cette région en art culinaire ?
Le secret réside dans le fait de conjuguer les herbes de la montagne aux fruits de la mer. C’est une région où les gens consomment beaucoup de poissons surtout la sardine qui est bien intégrée dans les maisons chenouies. Dans le temps, la sardine était à la portée de tout le monde, elle remplaçait le petit déjeuner des temps modernes. Dans tout le dédale de la cité, nos narines étaient titillées par le fumet de la sardine frite ou grillée, offerte au niveau du port aux gens. Il y a aussi l’anémone de mer, un produit très prisé par les vrais Tipasiens, mais qui est en voie de disparition à cause de la pollution marine. Chenoua est aussi connue pour le fameux couscous au poisson et aux herbes. Pour sauvegarder l’identité de la région, je me suis donc investie en m’initiant aux anciennes recettes et ce, grâce à ma mère et ma tante.
Qu’est-ce qui vous a inspiré à vous investir dans la quête de la cuisine à base d’herbes ?
Depuis mon jeune âge, j’étais inspiré de cette cuisine que je voyais à l’époque. Une cuisine très naturelle avec beaucoup d’herbes et plantes que ma tante cueillait dans son jardin chaque matin. D’ailleurs, c’est comme cela que j’ai appris à connaitre tous les noms des plantes en berbère. Je notais tout ce qu’elle faisait dans le domaine de l’art culinaire chenoui, à base d’herbes et de poissons. Il a y a lieu de vous préciser que le Chenoua recèle une des plus riches flores. En plus, nos vieilles connaissent la variété de plantes.
Vous êtes déterminée à assurer la pérennité du legs qui vous est transmis par vos aïeules.
Oui, je suis jalouse de cette richesse qui fait partie du patrimoine immatériel de la région. Ce qui me pousse, d’ailleurs à participer aux différents concours de l’art culinaire et ce, depuis 1987.

Vous avez pris part à des salons, expositions, etc.
J’ai participé à nombre de concours culinaires à l’échelle nationale et internationale où j’ai été primée.
Vous avez cette propension à développer un art culinaire qui allie le patrimoine floral de la montagne avec les produits marins...
Parce que tout simplement, la géographie de la région a cet avantage qui se trouve à cheval entre deux climats. J’adore ce mariage de la montagne et de la mer. La montagne du Chenoua regorge d’une variété d’espèces florales dont une partie est soit menacée, sinon non exploitée ou méconnue.

Avez-vous des difficultés à dénicher toutes ces plantes ?
Oui. Je dois faire parfois le parcours du combattant pour cueillir ce dont j’ai besoin. Les gens qui habitent la montagne nous ramènent les plantes qu’on utilise dans la cuisine, durant toutes les saisons. Autrefois, les champs étaient embellis de diverses espèces de plantes comestibles. Hélas, aujourd’hui, la nature est devenue chiche... Le décor verdoyant et luxuriant d’autrefois a laissé, au fil des ans, place au béton qui rogne monts et vaux. Il y a aussi, dois-je vous signaler, la pollution, générée par le taux de concentration d’engrais chimiques, l’usage abusif des herbicides, pesticides ...

La nature en prend un sacré coup ...
Malheureusement, oui. Notre comportement est devenu de plus en plus agressif vis-à-vis de la nature. On se doit de réagir intelligemment et concilier l’homme avec Dame nature, sinon tout un écosystème en pâtirait. La consommation des plantes sauvages comestibles n’est donc pas incompatible avec la protection de la nature. Il s’agit de l’inventorier ce patrimoine végétal et le développer, que cela soit pour l’usage de la pharmacopée ou les saveurs culinaires.
’’L’homme ne peut protéger ce qu’il ignore et ne peut aimer ce qu’il ne connait pas’’.
La cuisine du Chenoua a des similitudes avec celle de la région de Kabylie, non ?
Oui, en effet, parce que les deux cuisines sont d’essence berbère, avec les astuces de grands-mères qui diffèrent, bien sûr. On retrouve en effet, presque les mêmes plantes, sauf que les gens de la région du Chenoua consomment beaucoup de poissons et de plantes des aires montagneuses, mélangées à la flore de la zone maritime.
Que ‘’cache’’ le mot bio dans vos recettes ?
L’art culinaire aux herbes Bio, n’est pas encore assez apprécié en Algérie malgré qu’il ait atteint un stade bien avancé en Europe où il y a une prise de conscience alimentaire. Je ne reproche à personne, au contraire, j’essaie de faire passer mon message pour que les gens, un jour, arrivent à aimer cette cuisine aux herbes. Sur la base de mon expérience de 30 ans, à travers toutes ces expositions que j’ai fait sur les territoires national et à l’été International, je ne le cache pas, je suis très contente de la curiosité, des gens, que j’ai rencontré dans ces manifestations, en me posant beaucoup de questions, les gens retournent à nos traditions et à cette cuisine du terroir et de nos ancêtres, c’est un très grand plaisir pour moi.
Bien que je n’aie pas fait la grande école de la gastronomie, cela ne m’empêche pas de représenter avec fierté ma région et ce, dans le souci de préserver et de faire connaitre ce patrimoine culinaire de la région du Chenoua.
Le bio serait-il un phénomène de mode alimentaire, selon vous ?
Je ne pense pas. Quand je représente l’Algérie à l’étranger, je ne me sens pas dépaysé, par contre chez nous, on est très en retard dans ce domaine parce que des gens, quand on leur parle de cuisine Bio aux herbes, ils ne saisissent pas la portée. Je trouve que c’est une cuisine d’avenir pour ses bienfaits qui sont diététiques et sains. Cela dit, il faut accorder une grande importance à ce que nous mangeons, en suivant le rythme des saisons, aussi.
Vous mettez l’accent sur le patrimoine floral de la région et son usage dans la cuisine. Procédez-vous à une sélection de ces herbes, car si certaines sont comestibles, d’autres, en revanche, demeurent vénéneuses ?
Oui, bien sûr, on ne doit cueillir que celles propres à un usage culinaire. La région du Chenoua est réputée pour sa richesse gastronomique grâce à une panoplie d’herbes du terroir dont nos ancêtres faisaient un usage régulier aussi bien en cuisine qu’en médecine. Aussi, les plantes sauvages sont les aliments les plus anciens de l’homme, ce sont des végétaux forts parce qu’ils poussent spontanément dans les endroits qui leur conviennent le mieux, très riches en nutriments, fer, sels minéraux, en potassium, etc. La cuisine chenouie est donc un peu spéciale et différente de celle des autres régions d’Algérie. Tous les plats chenouis sont à base d’herbes, selon ce qui pousse pendant les quatre saisons, ce qui fait que toute l’année, on consomme les herbes. Aussi, la cuisine chenouie fait appel aux produits marins. Tout se mange sainement et naturellement et tout ce qui pousse à l’état naturel (champignons de forêt, asperges sauvages, escargots des champs, fruits des bois). Il y a même des plantes qui poussent sur la côte rocheuse de la mer comme la criste marine ou fenouil de mer, qu’on cueille sur les rochers.
Quel regard portez-vous sur ce patrimoine végétal qu’il s’agit de respecter et protéger.
En effet, chaque plante a son propre langage. Il s’agit respecter tous les éléments qui composent la plante qui pousse dans la nature (tige, feuille, fleur, fruit, graine, le bouton floral).Il me semble, donc important de répertorier ce patrimoine qui se perd au fil des années, car chaque vieille qui disparait sans que ses enfants soient intéressés à ce patrimoine, c’est toute une bibliothèque de connaissances et de savoir qui disparaît. Je m’attelle, de ma part, à préserver ce legs ancestral depuis une trentaine d’années. Toutes ces années là, je me suis consacré dans la cuisine à base d’herbes comestibles et je ne m’arrêterai jamais pour consigner, au fil de mon humble recherche, tous les noms des plantes. La panoplie des goûts de plantes sauvages offre un changement fascinant par rapport aux légumes et fruits que nous cultivons couramment. Et, au risque de me répéter, grâce à toutes ces vieilles dames de ma région chenouies, que j’ai été initiée depuis ma prime enfance à cette passion des herbes. Cela dit, l’art culinaire chenoui n’est pas seulement un héritage du passé, mais un des aspects de l’identité de la région que les générations futures doivent connaître et faire perpétuer.
Pouvez-vous nous citer quelques plats traditionnels à base d’herbe.
La cuisine à base d’herbes occupe une place prépondérante dans la nourriture du chenoui, l’hiver et le printemps sont les saisons les plus indiquées pour cette consommation
Tikourine (boulettes d’herbes cuites à la vapeur) est composé de pas moins de treize espèces de plantes (Fliou, Izaathrine, Minstha, El kasvar, Bibras, Mouther, Izlith, Averghenis, Sounadjam...) auxquelles sont additionnés la semoule, le piment fort, l’ail...
Les boulettes obtenues seront consommées chaude, accompagnées d’une soupe imprégnée d’huile d’olive.
Ce repas pris, généralement le soir, les chenouis ont toujours pour coutume de s’interdire la consommation d’eau au moins pendant la durée de la digestion.
Et pourquoi il ne faut pas boire juste après avoir consommé ces plats ?
Cette pratique, on le sait aujourd’hui, a une explication simple. L’eau favorise énormément l’élimination des vitamines contenues dans les plantes consommées.
Cette même attitude est observée après la prise d’autres plats dont la composition est voisine de la précédente comme Sthridh n’akvouchth achrourth, Aghroum l’khlyi… Devant un tel comportement alimentaire, on conclura sans risque de nous tromper que la connaissance des règles diététiques était maîtrisée et observée depuis bien longtemps dans cette région. Certains plats spéciaux sont préparés et présentés dans certaines ocacsions.
Pouvez-vous nous citer quelques plats particuliers ?
Par exemple, Ajlilith, ce plat très rapide à préparer, riche en calories, il est offert à des invités arrivés par surprise après une longue marche ou à l’occasion d’une touiza.
De nombreux autres plats à base d’herbes figurent sur la liste des mets consommés par le chenoui tels Arwayth, Avissarth, Guernina, Merdjila, Medjir, Avidhasth… Ces plats présentent à la fois l’intérêt de fournir des qualités nutritives certaines et d’être à la portée des bourses les plus démunies. La galette d’orge aux herbes et le couscous d’orge ou à base de glands entrent également dans la tradition. Pour agrémenter ces mets, la nature est appelée à contribution. Ainsi l’hiver et le printemps donnaient Aguernina, l’été et l’automne Merdjila (pourpier sauvage), des plantes riches en vitamines.
Des exemples de plats à base de produits marins.
Le chenoui habitant les versants est et sud du mont Chenoua, familiarisé avec la mer y puisera ses besoins en iode, phosphore, vitamines A et autres...
La sardine, le poulpe, la sépia, l’oursin, la moule, présentés sous différentes préparations.

Parmi les plats que vous nous avez cités, on les consomme avec du pain, faites-vous aussi des pains traditionnels ?
Effectivement, il n’y a pas uniquement les plats, il y a aussi les pains "maison aux herbes" depuis quelques 2 ans, j’ai découvert une autre spécialité de pains, qui sont les pains spéciaux. C’est un autre créneau qui n’a rien avoir avec la cuisine chenouie, à part le pain de base aux herbes. Je me suis mise dans ce créneau grâce à un spécialiste et expert en farines complètes, M. Benbernou Majdoub de Mostaganem, qui m’a aidée et encouragée. Aussi, à partir de là, est née l’idée d’intégrer les herbes médicinales de la région du Chenoua dans le pain complet ou le pain artisanal aux herbes et à base de farine : son, orge, seigle, farine complète, farine de campagne, etc. J’ai suivi même une formation et ce, suite au concours de l’agro-alimentaire en février 2008 qui a eu lieu au Palais des expositions à Oran où j’étais invitée par l’expert des farines spéciales à représenter le pain aux herbes du Chenoua. Je suis également des cours par correspondance dispensés par MM. Serge Lebau et Jean Yves Ouvrard, spécialisés en pains spéciaux. Pour vous dire le monde des pains est extraordinaire.

Pour tous ces plats traditionnels, quels ustensiles utilisez-vous ?
Pour les ustensiles de cuisine, seule la poterie utilitaire est conseillée ; on fabrique aussi des cuillères, des louches avec du bois de bruyère. Aussi, le granite taillé offrira à la ménagère sa meule (assirth..)
Pour conclure, avez-vous un message à transmettre ?
J’aimerais bien ouvrir un restaurant à Tipasa pour faire une cuisine du terroir et qui sera de spécicificité chenouie et, éventuellement écrire un livre qui sera d’un apport. incontestable aux amateurs de la cuisine de nos encêtres.Cela dit, j’exhorte les jeunes à s’intéresser à ce legs culinaire, une manière de le perpétuer et le faire connaitre aux gens, notamment les touristes de passage qui sont toujours curieux de découvrir notre patrimoine immatériel. Je remercie, à l’occasion, le wali de Tipasa qui m’a toujours poussée de l’avant, comme je remercie également votre quotidien de m’avoir ouvert ses colonnes.
O. A. A.


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