Le Midi Libre - LE MI-DIT - A Istanbul, la réhabilitation urbaine a eu raison du royaume des Roms
Logo midi libre
Edition du 16 Mai 2009



Le Mi-Dit

Caricature Sidou


Archives Archives

Contactez-nous Contacts




A Istanbul, la réhabilitation urbaine a eu raison du royaume des Roms
16 Mai 2009

Jadis capitale de la nuit stambouliote et dépositaire de la mémoire des Roms de Turquie, Sulukule n’est plus qu’un champs de ruines. La lutte contre l’insalubrité a eu raison du quartier, contraignant, parfois avec brutalité, son petit peuple d’artisans et d’artistes à l’exil. Mardi dernier, les agents municipaux, secondés par une escouade de policiers anti-émeute, ont mis à bas une vingtaine de masures colorées qui témoignaient, encore, entre les débris de précédentes campagnes de démolition, de l’existence de ce monde à part, blotti au creux de la muraille byzantine d’Istanbul. Devant des habitants résignés, qui avaient reçu la veille leur avis d’expulsion, les fonctionnaires ont fait place nette en jetant par les fenêtres les quelques meubles, tapis et vêtements encombrant encore les maisons, écrasées ensuite comme des fétus de paille par une pelleteuse.
«Un grand merci à la mairie ! Grâce à elle, ce soir je vais dormir dans la rue avec ma femme, un enfant nouveau né et un autre de quatre ans. On n’a nulle part où aller», se désolait Ferdi Celep, sans emploi, assis sur un canapé au milieu des décombres. Les démolitions ont débuté fin 2006 sur ordre de la mairie d’arrondissement de Fatih, avec pour but de remplacer par de coquets immeubles lambrissés de «style ottoman» les «cabanes même pas bonnes à stocker le charbon» -selon les mots du maire, Mustafa Demir- dans lesquelles vivaient les habitants. Le projet prévoit le départ d’environ 3.500 personnes, dont la quasi-totalité des quelque 1.300 Roms du quartier, selon les estimations de la municipalité. Aujourd’hui, la plupart des habitants ont essaimé à travers la ville, et seraient bien incapables de louer ou d’acheter un appartement dans une des résidences que va construire la mairie, aux mains du Parti de la justice et du développement (AKP), issu de la mouvance islamiste), au pouvoir en Turquie. Une situation qui indigne l’activiste Hacer Foggo, de la Plateforme de Sulukule. «Qui va acheter les maisons qu’on va construire ici ? Ce sont les profiteurs, ce sont les proches de l’AKP. L’idée, c’est de chasser les pauvres du centre-ville et de mettre des riches à la place», clame la jeune femme, qui évoque 5.000 déplacés, pour la plupart des Roms. Royaume des joueurs de darbouka (tambourin) et des danseuses enflammées, Sulukule a accueilli des générations de Stambouliotes avant de connaître le déclin dans les années 1990 avec la fermeture par les autorités conservatrices des maisons de divertissement qui avaient fait sa gloire. Au delà du pittoresque, la dispersion des Roms de Sulukule représente aussi la fin d’une histoire millénaire. Selon le chercheur britannique Adrian Marsh, spécialiste des Roms de Turquie, interrogé par l’AFP fin 2006, Sulukule serait en effet «la plus vieille communauté Rom au monde» connue, dont la présence a été attestée dès 1054 par un clerc byzantin. Celui-ci relate la présence à Sulukule de mystérieux «Egyptiens» vivant dans des tentes noires, pratiquant la divination, la danse du ventre et le dressage d’ours. On retrouvera la communauté à partir du XVe siècle, faisant les délices de la cour des sultans ottomans. «La démolition de Sulukule, ce n’est pas la démolition de n’importe quel bidonville gitan», estime Marsh. «C’est l’éradication de la mémoire d’une communauté».


L'édition du jour
en PDF
Le Journal en PDF
Archives PDF

El Djadel en PDF
El-Djadel en PDF

Copyright © 2007 Midilibre. All rights reserved.Archives
Conception et réalisation Alstel