Ils lui répétaient souvent qu’il avait un téléphone du temps des dinosaures et que la sonnerie actuelle allait bien à cette génération de portable. Il avait finalement renoncé à la changer mais il la détestait de plus en plus.

« Et maintenant, ya m’ra, où allons-nous ? » dit Messaoud en se tournant vers Aicha qu’un vent de révolte avait contractée, lui plissant davantage le front et lui figeant la bouche dans un rictus de colère. 
« La maison ou le marché ?
--- Va pour le marché ! Le réfrigérateur est vide. Je dois tout acheter si je ne veux pas subir les critiques ou les sous-entendus ironiques des enfants.
Tu te rends compte ! Avec tous les efforts que je fais, ils trouvent moyen de me reprocher les plats que je fais! Je travaille dehors pour améliorer notre niveau de vie et à la maison je fais ce que peut faire une femme qui est seule. Bien sûr, Sarah me donne un coup de main pendant son congé mais je préfère ne pas compter sur elle. Ils ne se rendent pas compte ce que c’est que d’entretenir une famille. J’envie ceux qui n’ont que des filles parce que les hommes c’est une catastrophe : ils ne savent que rouspéter.
--- Et oui ! Ya m’ra, les garçons ne mesurent pas la chance qu’ils ont ! A leur âge, j’étais encore célibataire mais chargé de famille ! »
A ce moment le téléphone commença à sonner. Messaoud le laissa émettre sa désagréable musique. Aicha montra des signes d’impatience et regarda vers Messaoud :
« Réponds, ya radjel, c’est peut-être urgent ou important !
--- Ca l’est, ya m’ra ! Mais pour celui qui appelle ! Sache que c’est toujours celui qui a besoin de toi qui te téléphone. Jamais le contraire !
--- Mais on ne sait jamais ! C’est peut-être l’un des enfants qui a besoin de nous et peut-être même qu’on t’appelle du bled. Il y a quand même un bout de temps que tu n’as pas donné de tes nouvelles à ta sœur !
--- Quoi qu’il en soit, ce ne doit pas être urgent : quand j’arriverai au marché je rappellerai cette personne qui se fait si insistante. Si c’est un appel anonyme, je n’appelle pas ! »
Messaoud était allergique au téléphone et encore plus au à la musique désagréable qui l’agaçait et provoquait immanquablement une grimace sur le visage de Messaoud. Ce son quasi insupportable, il s’était promis maintes fois de le changer, mais il ne sait pas comment : ses enfants qui ont changé plusieurs fois l’indicatif de leur portable ne voulaient pas, malgré ses nombreuses prières, s’en occuper. Ils lui répétaient souvent qu’il avait un téléphone du temps des dinosaures et que la sonnerie actuelle allait bien à cette génération de portable. Il avait finalement renoncé à la changer mais il la détestait de plus en plus car elle lui annonçait presque toujours une corvée supplémentaire à remplir  ou alors c’était une mauvaise nouvelle. La dernière fois, qu’on l’avait appelé du bled, et il était sur la route, c’était pour lui annoncer le décès d’un cousin émigré qu’il n’avait pas vu depuis plus de vingt ans. La nouvelle l’avait tellement choqué parce qu’il avait toujours eu de l’estime pour cet homme au caractère si doux bien qu’il soit porté sur la boisson, qu’il avait changé de voie sans prêter attention au fourgon qui arrivait derrière lui et qui lui arracha le pare-choc de la voiture.
Depuis, il ne répond plus au téléphone en conduisant.