Quand Maha, 18 ans, a décidé d’échapper au réseau de prostitution familial, son frère l’a tuée en invoquant l’honneur, un motif qui en camoufle en fait beaucoup d’autres. Maha fait partie des centaines sinon des milliers de femmes de Jordanie et d’autres sociétés conservatrices à être assassinées par des hommes de leur famille chaque année dans ce qui est communément appelé "crimes d’honneur", selon des groupes de défense des droits de l’homme. Toutefois, aucun chiffre précis n’est disponible, car la plupart des cas ne sont pas rapportés. En Jordanie, entre 15 et 20 femmes sont tuées chaque année pour "laver l’honneur de la famille". Huit meurtres de ce type ont été signalés en 2008, selon les autorités. L’année dernière, 17 ont été recensés. Mais ce motif en cache souvent d’autres dans ce petit royaume de six millions d’habitants où domine une société patriarcale.
Juges, avocats, militants et experts expliquent que les hommes tirent partie de lois indulgentes et de l’inégalité de la femme dans la société pour profiter en fait d’un héritage, régler un conflit familial ou commettre d’autres crimes sous couvert de crimes dits d’honneur. "Maha ne voulait pas continuer à se prostituer, alors son frère l’a tuée" en 2006, affirme à l’AFP Israa Tawalbeh, médecin légiste. Selon elle, le frère de Maha est un drogué avec des antécédents judiciaires et dirigeait un réseau de prostitution à l’est d’Amman.
"Il s’est rendu aux autorités et affirmé l’avoir tuée pour laver l’honneur de la famille". L’expertise médicale a prouvé que la victime se prostituait mais le frère n’a écopé que de deux ans de prison, selon Mme Tawalbeh. "Personne ne s’est soucié du fait que Maha voulait échapper à son univers. Son frère a eu une peine légère car la société est dominée par les hommes et c’est injuste", déplore ce médecin. Il y a quelques années, un homme a battu sa fille de 16 ans à mort, affirmant qu’elle était enceinte. Là aussi, l’enquête a prouvé qu’il avait abusé d’elle. Le juge Jihad Oteibi, porte-parole de la justice jordanienne, admet que plusieurs crimes dits d’honneur examinés par les tribunaux sont en fait commis pour des raisons liées à l’héritage.
En vertu de la chariaâ (loi islamique), en vigueur en Jordanie, la femme a droit à un héritage, même si sa part n’équivaut qu’à la moitié de ce que reçoit un homme. "Les expertises médicales ont démontré que plusieurs victimes de ces crimes étaient vierges, ce qui prouve que d’autres motifs sont derrière les meurtres. C’est un problème sensible dans notre société", explique le juge. Selon Human Rights Watch (HRW), 95 pour cent des femmes tuées en 1997 en Jordanie dans des crimes liés à l’honneur étaient innocentes des accusations portées contre elles. "Plusieurs femmes sont contraintes de renoncer à leurs droits ou risquer la mort. Leur famille peut les tuer et affirmer qu’il s’agit d’une question d’honneur, et non d’argent", a dit encore M. Oteibi.
"La vérité est difficile a établir après le meurtre. Tant la famille que les voisins peuvent mentir", explique ce juge, ajoutant que dans de pareils cas, les mères témoigneraient contre leurs filles pour sauver leurs maris ou fils de la peine de mort. L’universitaire jordanien Seri Nasser blâme le système judiciaire. "La plupart des juges sont des hommes et usent de leur pouvoir pour alléger les peines contre les meurtriers", dit ce professeur de sociologie. En dépit des appels des militants des droits de l’Homme, le Parlement a refusé par deux fois de réformer le code pénal pour renforcer les peines infligées.
Asma Khader, avocate, ancienne ministre et secrétaire générale de la Commission nationale pour les femmes, estime cependant que "le niveau de tolérance dans l’application de la loi a baissé". Elle se félicite aussi de l’action de sensibilisation menée par les autorités.